Pour Oxfam, c’est un signe que les banques y déplacent artificiellement des revenus réalisés dans d’autres pays. « Il peut y avoir d’autres raison, Barclays nous dit par exemple que c’est depuis le Luxembourg qu’ils versent des dividendes… admet Manon Aubry. Mais si ces situations n’arrivent que dans des paradis fiscaux, ce n’est pas un hasard… » Les banques européennes utilisent ces pays pour transférer des bénéfices, maximiser les profits et contourner des réglementations. Et il ne faut pas l’oublier : les banques s’y implantent pour permettre l’évasion fiscale de leurs clients.Avec des chiffres d’affaires en hausse de 7 % en moyenne l’année dernière pour les banques, la publication obligatoire des données depuis 2015 – le reporting public pays par pays – ne semble pas porter préjudice aux profits du secteur. Un rapport du bureau européen de Transparency International publié fin 2016 le démontre également. En France, le Conseil constitutionnel a pourtant avancé cet argument pour censurer l’article de la loi Sapin 2 qui voulait étendre cette mesure de transparence aux multinationales. « Cela prouve que cette censure n’était qu’une décision politique visant à cacher que les multinationales pratiquent l’évasion fiscale », assure Manon Aubry. De nouvelles échéances apportent un mince espoir de corriger le tir. En avril 2016, le Conseil européen a proposé d’imposer le reporting public pays par pays pour les très grands groupes. Ce projet va être voté en mai en commission puis en juin en plénière. Problème, ce texte est pour l’instant très partiel. Il ne concernerait qu’une partie des pays dans lesquels les multinationales auraient des activités et les très grands groupes réalisant plus de 750 millions de chiffre d’affaires, excluant de facto près de 90 % des multinationales. « Avec ce rapport sur les banques, on veut montrer aux parlementaires européens que la transparence est utile, et qu’il faut faire la même chose pour les multinationales, assure Manon Aubry. Mais il faut qu’ils comprennent qu’en l’état ce texte est inexploitable. » Ce qui coince, c’est aussi que de tels chiffres montrent qu’au cœur de l’Europe, des paradis fiscaux abusent du dumping fiscal et octroient des avantages, voire des exonérations de taxes directement négociés avec l’administration… « Ces pratiques poussent des pays comme la France à baisser leur impôt sur les sociétés de 33 % à 28 %, déplore Manon Aubry. Et plusieurs candidats veulent encore le baisser à 25 %. C’est un aveu d’échec. C’est-à-dire qu’on accepte que des multinationales payent le moins d’impôt possible. Et les conséquences sont lourdes : moins d’argent dans les caisses de l’État, la poursuite des politiques d’austérité qui plombent l’Europe. Et que l’on compense avec ce qui est le plus facile à taxer, les gens comme vous et moi, avec des hausses de TVA, une taxe terriblement injuste. »Cette tendance est globale. Au sein de l’OCDE, l’impôt sur les sociétés a baissé en moyenne de près de 6 points en quinze ans, et cela s’accélère. À l’inverse, la TVA n’a cessé d’augmenter et représente en France la moitié des recettes fiscales. D’un taux proche de 0 en 1965, la TVA dépasse en moyenne les 21 % dans les pays de l’OCDE depuis la crise.
L’Irlande, qui permet au Crédit agricole de payer à peine 2 % d’impôt, est-elle un paradis fiscal ? Cela dépend de qui propose la définition, et là réside un enjeu majeur des prochains projets législatifs nationaux et européens. L’OCDE, par exemple, se contente de dénoncer les pays non coopératifs, c’est-à-dire qui entretiennent leur opacité fiscale. On y retrouve les îles bien connues où les particuliers et les multinationales vont pratiquer l’évasion fiscale. Cette définition ne concerne donc ni l’Irlande, ni la Suisse, ni le Luxembourg… C’est pourquoi les ONG militent pour ajouter à cette liste des paradis fiscaux les États qui pratiquent le dumping fiscal et ceux qui offrent des avantages fiscaux non justifiés, c’est-à-dire sans rapport avec l’activité réelle de l’entreprise dans le pays.