Dans une résolution votée mercredi par le Congrès des pouvoirs locaux, le Conseil de l’Europe exige que le gouvernement turc remette en place les conseils municipaux qu’il a destitués dans le nord-est du pays, et qu’il libère les maires emprisonnés. Rencontre également avec un élu régional kurde, qui vient d’être condamné à 8 ans de prison.
« J’ai été en mission en Turquie à de nombreuses reprises depuis les années 90, jamais je n’ai été témoin d’un situation aussi grave. Ce qui se passe est inacceptable ! »
Le député conservateur suédois Anders Knape ( PPE ) n’a pas de mots assez durs pour décrire devant les députés des 47 pays européens réunis au sein du Congrès des Pouvoirs locaux et régionaux du Conseil de l’Europe à Strasbourg, la situation du sud-est de la Turquie, après que tous les maires des grandes villes aient été destitués et mis en prison par le gouvernement d’Erdogan. La mission d’enquête qu’il a dirigée et qui s’est rendue sur place en octobre et décembre 2016, a mis en évidence l’ampleur de la répression exercée contre les élus kurdes, mais pas seulement. Car si ce sont majoritairement les élus du HDP ( Parti démocratique des Peuples ) qui ont été destitués et emprisonnés, 4 maires appartenant à d’autres formations politiques ont subi le même sort, dont le maire de Adana, 5ème ville de Turquie située de la côte sud, qui compte un million et demi d’habitants, il est membre du MHP ( Parti d’Action Nationaliste. ) Erdogan est même allé jusqu’à faire emprisonner 3 maires appartenant à son propre parti, l’AKP ! Le rapport établi par la mission d’enquête parle d’« au moins 65 maires destitués », et d’un grand nombre de maires adjoints et de conseillés municipaux représentant en tout « près de 6 millions de citoyens turcs. »
On connaît l’alibi avancé par Erdogan pour justifier ces destitutions et emprisonnements : les élus en question seraient favorables au PKK ( Parti des travailleurs du Kurdistan ), considéré comme une organisation terroriste par le gouvernement turc. Les enquêteurs du Conseil de l’Europe dénoncent eux « l’ampleur alarmante du recours à une notion extrêmement large du terrorisme pour punir les déclarations non violentes.» Aucun rapport non plus entre ces emprisonnements et la tentative de coup d’état du 15 juillet 2016. En rien les élus kurdes n’ont été mêlés à ce coup d’état qu’ils ont immédiatement condamné. Pas plus qu’avec d’autres actions terroristes menées sur le territoire turc par des membres de Daech.
La mission d’enquête note d’ailleurs que la répression qui s’exerce contre les maires kurdes n’est pas nouvelle. Elle avait déjà été constatée en 2007 et en 2011, où les maires des grandes villes de Sur et de Diyarbakir avaient également été destitués et emprisonnés, alors qu’il n’y avait eu à l’époque ni tentative de coup d’état, ni d’attentats, et que l’état d’urgence n’avait pas été proclamé.
Les conséquences de la destitution des élus locaux et leur remplacement par des fonctionnaires aux ordres d’Erdogan, sont particulièrement graves puisqu’elles reviennent à supprimer la démocratie locale dans toute la partie sud-est et centre-est du pays. Les rapporteurs de la commission d’enquête attirent particulièrement l’attention sur les « co-maires » dont « 81 auraient été destitués et emprisonnés (…) Parmi ceux-ci, une majorité de femmes. » Les femmes semblent d’ailleurs être l’une des cibles privilégiée du gouvernement d’Erdogan puisque les premières décisions prises par les administrateurs remplaçant les maires, ont été de fermer les crèches et les refuges pour les femmes victimes de violences conjugales.
« Des millions de citoyens n’ont plus de conseils municipaux aujourd’hui en Turquie, » conclut Anders Knape. Et selon les propos du vice-gouverneur d’Erdogan rapportés par l’enquêteur européen, « cette situation pourrait durer jusqu’aux prochaines élections dans deux ans. »