Catherine Lemorton est la présidente de la commission des affaires sociales de l’Assemblée nationale. Cela ne l’a pas empêchée de licencier à deux reprises des assistantes parlementaires en arrêt maladie. D’autres parmi ses anciens collaborateurs ont été humiliés. Et choqués par le comportement d’une députée, chantre de la transparence, qui n’hésite pas à faire profiter ses enfants de l’argent public.
Toulouse (Haute-Garonne), envoyé spécial.- Catherine Lemorton est une députée réputée pour son bagout et son sens de la répartie. Quand il s’agit de parler de sa relation avec ses assistants parlementaires et de son rapport à l’argent public, elle préfère pourtant se réfugier dans le silence. Elle n’a pas retourné nos multiples appels. Le 16 mars, elle ne s’était déjà pas présentée à l’audience des prud’hommes de Toulouse, lors de laquelle il lui était reproché d’avoir licencié une assistante en arrêt maladie. Plus gênant encore : selon notre enquête, c’est la deuxième fois que la présidente de la commission des affaires sociales de l’Assemblée nationale licencie de la sorte. Nous avons également retrouvé plusieurs de ses anciens assistants qui ont été choqués voire traumatisés par les méthodes de la députée. Mais là non plus, l’élue de Haute-Garonne, toujours prompte à promouvoir la transparence et à dénoncer les « patrons voyous », n’a pas souhaité nous répondre.
Véronique Dufor, elle, ne rechigne, pas à s’exprimer. À 44 ans, elle a envie que tout le monde connaisse le vrai visage de celle qui l’a employée pendant huit ans, avant de la licencier. Avec le recul, elle juge que son premier jour, en septembre 2007, était prémonitoire. « Il était prévu que je remplace à 9 heures quelqu’un qui n’était pas encore informé de son licenciement. »
Cette ancienne assistante administrative vivra quelques hauts et beaucoup de bas avec la députée. « Comme employeur, elle était minable. Elle est censée représenter le peuple. Mais je suis le peuple. Et il faut voir comment elle se comporte. Elle ne mérite pas le mandat qui lui est confié. » Véronique reproche beaucoup de choses à Catherine Lemorton, dans son comportement quotidien comme dans son éthique d’élue. Mais le sujet de l’audience prud’homale est ailleurs.
Pour Véronique Dufor, embauchée le 1er septembre 2007, les soucis physiques commencent en novembre 2014, avec des douleurs aiguës au coude, qui s’aggraveront de mois en mois. En mars 2015, elle est arrêtée une première fois. Elle revient. Puis est de nouveau arrêtée trois mois. Après ses congés du mois d’août, elle n’est toujours pas en mesure de reprendre, est à nouveau mise en arrêt maladie, et, le 27 août 2015, reçoit une convocation en vue d’un licenciement : «… Comme je vous l’ai exposé, vos absences répétées et prolongées perturbent le fonctionnement de la permanence, il est nécessaire de pourvoir à votre remplacement pérenne. »
Quelques semaines plus tôt, la Caisse primaire d’assurance maladie (CPAM) l’avait convoquée et avait cassé un de ses arrêts de travail. « Le médecin m’a dit : “Vous reprenez lundi.” Je n’ai pas eu d’autres explications. » Une ancienne assistante parlementaire, Lamia, a versé à l’audience un témoignage sur l’honneur. Catherine Lemorton aurait annoncé à ses assistants qu’elle avait déjeuné avec le directeur de la CPAM et qu’il allait faire casser l’arrêt. Contacté, le directeur dément. Il explique que Catherine Lemorton lui a bien parlé du dossier mais au sujet d’une question purement technique, « la demande de subrogation. Je n’ai pas le souvenir qu’elle m’ait demandé quoi que ce soit d’autre ».
Quoi qu’il en soit, les conseillers prud’homaux doivent avant tout répondre à une autre question : le licenciement est-il irrégulier car sans cause réelle et sérieuse ? Selon l’article L. 1132-1 du Code du travail, aucun salarié ne peut en effet être sanctionné ou licencié en raison de son état de santé.
Catherine Lemorton, porte-parole d’Arnaud Montebourg pendant les primaires socialistes, sait ce que cela coûte d’être licenciée. Si l’on en croit le récit qu’elle a livré à Libération le 29 mars 2016, cela lui est arrivé en 1994, après un congé maternité : « Le jour où vous ouvrez le courrier, tout s’effondre, raconte-t-elle dans cet article. Les copains me disaient : “C’est super ! Tu vas pouvoir t’occuper de ta fille !” Mais non ! Ne plus avoir de travail, c’était ne plus exister. »
Estomaqué par les méthodes de la députée, l’avocat de Véronique Dufor, Me Claude Yéponde, écrit le 17 décembre 2015 au président de l’Assemblée nationale, Claude Bartolone, et au président du groupe socialiste de l’époque, Bruno Le Roux : « Compte tenu de ses fonctions et de ses hautes responsabilités au sein de la Commission des affaires sociales, et alors que sa connaissance et son application du droit du travail devraient être exemplaires, il me semblait essentiel de vous alerter sur les nombreux manquements que Catherine Lemorton a pu commettre à l’égard de ma cliente. » Il n’obtiendra jamais de réponse ; seulement des ennuis. L’avocate de Catherine Lemorton, Me Christine Vaysse-Lacoste, saisit en son nom le bâtonnier de Toulouse pour se plaindre d’« un chantage sur un élu de la République ». Une enquête déontologique est ouverte, le conseil de discipline saisi : Me Yéponde vit encore sous la menace d’une sanction pour avoir signalé un comportement potentiellement illégal.
Licencier pendant un arrêt maladie n’est pas absolument impossible, selon la jurisprudence. Mais l’employeur doit alors établir « la perturbation du fonctionnement de l’entreprise », et le fait qu’il doive impérativement remplacer le salarié de manière définitive.
En 2011 déjà, Catherine Lemorton avait licencié une de ses assistantes pendant un arrêt maladie de plusieurs mois. Cette assistante-là, « choquée », n’avait pas eu la force d’attaquer la députée, et six ans plus tard, elle se dit encore trop « traumatisée » pour raconter son histoire.
Véronique Dufor avait assisté, impuissante, à ce licenciement. Quand cela lui est tombé dessus à son tour, elle a décidé de ne pas se laisser faire. « Car où est la preuve de la perturbation de la structure ? » demande Me Claude Yéponde, qui ne voit pas quel problème insoluble posait l’absence de sa cliente. À l’appui de sa démonstration, il cite des SMS de Catherine Lemorton, qui prend des nouvelles de son assistante et l’encourage à bien se reposer pendant les premiers mois de son congé : le 16 mars 2015 : « Si tu dois continuer à te reposer, tu n’hésites pas. Tu fais prolonger ton arrêt de travail » ; le 8 juin : « Ne te prends pas la tête ! Tu t’arrêtes autant que nécessaire et on s’organise. Bisous » ; le 24 juin, « Pas de problème. On organisera l’équipe en fonction. »
L’avocate de Catherine Lemorton, Me Christine Vaysse-Lacoste, qui a elle aussi refusé de nous répondre en marge de l’audience, cite à la barre les mêmes SMS pour démontrer que la députée s’est montrée très attentionnée à l’égard de Véronique Dufor, qu’elle espérait vraiment qu’elle reviendrait, mais qu’à la rentrée de septembre 2015, il était devenu impossible d’attendre encore son retour.
Du matériel informatique pour la famille aux frais du contribuable
Cependant, elle n’explique pas pourquoi il était impossible de recourir à un contrat à durée déterminée. D’autant qu’il était de toute façon prévu qu’en octobre 2015, soit un mois plus tard, Véronique parte pour un an en formation. Catherine Lemorton avait donné son accord pour cette formation dès le mois d’avril. Et, explique Me Yéponde, « elle avait embauché quelqu’un dans le but de compenser cette absence dès le 1er septembre 2015, ce qui permettait donc de couvrir son dernier arrêt maladie ».
Par ailleurs, la seconde condition pour pouvoir licencier un salarié pendant son arrêt maladie consiste à l’avoir remplacé « dans un délai raisonnable et de façon pérenne ». Or Catherine Lemorton a bien embauché un nouveau contrat à durée indéterminée (CDI), mais seulement trois mois plus tard, en décembre 2015.
Pour tenter de démontrer un dysfonctionnement de la permanence en l’absence de Véronique Dufor, Catherine Lemorton fait valoir qu’elle a notamment dû embaucher du personnel en renfort, en l’occurrence sa propre fille, Léa Lemorton, dans le cadre d’un contrat à durée déterminée, du 1er avril 2015 au 31 mai 2015.
En pleine affaire Fillon, l’emploi familial fait sourire les conseillers prud’homaux. Me Yéponde a beau jeu de rappeler que Léa Lemorton avait déjà été embauchée au sein de la permanence du 15 novembre 2013 au 14 janvier 2014. « Or à cette époque, il n’était nullement question de pallier l’absence d’un collaborateur parlementaire, mais principalement de lui permettre de gagner de l’argent de poche et il y a tout lieu de considérer que le motif était identique l’année suivante », plaide l’avocat.
Plusieurs anciens assistants parlementaires nous ont confirmé le fait qu’à une époque, Catherine Lemorton avait justifié l’embauche de sa fille par le fait qu’elle était « perdue », qu’il fallait lui donner des « repères » et que ce contrat lui permettait de se « raccrocher à quelque chose ».
Au fil de notre enquête, nous nous sommes rendu compte qu’il n’y avait pas que lors de cette embauche que Catherine Lemorton s’était servie de sa fonction d’élue pour avantager des membres de sa famille. Bien qu’elle ait voté en 2012 un amendement en faveur de la transparence sur les frais de représentation des députés, ses anciens assistants reprochent à la députée de s’être servie de l’argent public pour des dépenses qui n’avaient rien à voir avec l’exercice du mandat.
Ainsi, chaque député peut piocher dans une enveloppe pluriannuelle de plusieurs milliers d’euros destinés à couvrir ses dépenses en équipements informatiques. Mais comme le montrent certaines notes tapées ou manuscrites auxquelles nous avons eu accès, Catherine Lemorton a profité de ce budget pour acheter du matériel à ses filles (ordinateurs, téléphones portables, etc.), avant de se le faire rembourser sur son compte d’indemnités représentatives des frais de mandat (IRFM). Voici un exemple ci-dessous :
Catherine Lemorton n’est certes pas la première députée à fournir un emploi à l’un de ses enfants. Ni à détourner l’argent public de son objet initial à des fins privées. Est-ce pour autant une excuse ? « Quand on a fait de la transparence et de l’éthique son cheval de bataille, on doit le mettre en application au quotidien », juge Lamia, qui a été son assistante pendant plus de quatre ans.
Lamia était en couple avec Julien. Tous deux racontent, comme d’autres anciens assistants, les humiliations et les brimades quotidiennes. Ils livrent d’innombrables anecdotes sur des faits et gestes « indignes d’un employeur, surtout un élu », souvent incompréhensibles. « Quand on a enfin obtenu de pouvoir partir une semaine en vacances ensemble, elle nous a demandé d’enlever les photos de notre périple sur Facebook, au motif que les Français, eux, vivaient une période de disette. »
Un autre ancien assistant, plus indulgent, témoigne : « Ça s’est très très mal passé avec certains. Beaucoup d’élus sont dans l’affectif, ils n’ont pas envisagé qu’ils allaient être employeurs. Ils n’y sont pas préparés et ne sont pas aidés. »
Adorable un jour, détestable le lendemain. Capable de remercier publiquement ses assistants à la fin de l’examen d’un texte, et de les humilier quelques heures plus tard. Ainsi est décrite Catherine Lemorton, susceptible d’appeler n’importe quel jour, à n’importe quelle heure, jouant sur le statut peu enviable de collaborateur parlementaire. « Il n’y a pas de formation spécifique pour devenir assistant parlementaire. La spécificité réside dans la particularité du contrat de travail. C’est plus un contrat de confiance qu’un contrat de travail », a ainsi plaidé l’avocate de la députée lors de l’audience aux prud’hommes.
Ce statut pourrait être enfin amélioré grâce à l’affaire Fillon. Ce n’est pas Julien qui s’y opposerait : Catherine Lemorton, pharmacienne de profession, a beaucoup œuvré, à travers ses assistants parlementaires, pour développer le marché des antidépresseurs. « Avec elle, j’en ai pris pour deux ans de psy et 25 kilos, raconte Julien. Tous les dimanches soirs, je pleurais à l’idée de retourner au travail. Elle a bousillé ma vie. »
Aujourd’hui en recherche d’emploi (raison pour laquelle il ne souhaite pas que son nom de famille apparaisse), il livre un récit très différent de celui des assistants qui exerçaient à Toulouse, en circonscription. « J’étais son larbin. J’avais un double master de droit et sciences politiques, j’avais été au bureau national de l’UNEF et à la direction nationale des jeunes socialistes : j’aspirais à autre chose qu’à découper au ciseau les articles la concernant et à les coller dans un classeur. »
Rapidement, Julien est utilisé pour des missions personnelles et humiliantes. « Tous les jours, quand j’arrivais, une lettre avec ma mission du jour m’attendait : acheter des suppositoires, du saucisson, des serviettes hygiéniques… J’étais incapable de dire non, elle avait une emprise sur moi. Parfois, elle me demandait de faire la visite à des amis à elle de passage à Paris. En trois ans, j’ai dû écrire deux discours pour le 11-Novembre, et répondre à 15 ou 20 courriers. Rien de plus. Quand j’ai fini par lui dire, elle m’a répondu qu’elle ne comprenait pas, qu’on était une petite famille et qu’on se rendait donc des services. »
Début 2015, Julien, à bout, fait un malaise sur son lieu de travail, nécessitant l’intervention des pompiers. Il décide de s’en aller.
Sur tous ces sujets, Catherine Lemorton a choisi de garder le silence, misant peut-être sur le fait que le jugement des prud’hommes concernant le licenciement de Véronique Dufor ne sera rendu que le 29 juin. Soit 11 jours après le second tour d’une élection où elle briguera un nouveau mandat de députée.