Macron se rend en Corse ce vendredi. Sur l’île, un de ses amis et soutiens, Pierre Ferracci, PDG du groupe Alpha, a bâti deux grandes villas avec piscine jugées illégales. Il comparaîtra devant la cour d’appel de Bastia le 24 mai.
Vendredi 7 avril, Emmanuel Macron a prévu de se rendre en Corse. Après avoir un temps envisagé de commencer sa visite par Bonifacio, à l’extrême sud, fief de son plus fidèle soutien, le maire socialiste Jean-Charles Orsucci, il devrait finalement limiter son déplacement à la région bastiaise. Il n’aura donc pas droit à un survol en hélicoptère des falaises blanches et de la côte sauvage. Dommage, cela lui aurait permis d’apercevoir, au nord de la baie de Rondinara, l’une des constructions illégales les plus spectaculaires de Corse.
Deux grandes villas de 670 m2 avec piscine y ont été édifiées sans permis, dans un secteur vierge jusqu’alors de toute construction… par une famille qui fait partie de sa garde rapprochée. Pierre Ferracci, leur propriétaire, joue un rôle important dans l’entourage du candidat à l’élection présidentielle. Cet expert-comptable parisien, proche de la CGT, très influent dans l’univers de l’économie sociale, est le PDG du groupe Alpha (1 030 salariés), qui conseille de nombreux comités d’entreprise. Ce riche “patron de gauche”, fils de résistant communiste, qui déclare 15 000 euros de salaire mensuel, est également le président du Paris Football club, qui évolue en National.
Homme de l’ombre et de réseaux, il joue auprès du pouvoir socialiste un rôle comparable à celui de Raymond Soubie, l’ancien conseiller social de Nicolas Sarkozy à l’Élysée. Pierre Ferracci a fait partie de la fameuse commission Attali, créée à l’initiative du président Sarkozy afin d’élaborer des propositions de réforme de l’économie, au sein de laquelle le jeune Macron avait été choisi comme rapporteur général adjoint. C’est cette commission qui a permis au futur candidat de tisser sa toile dans le monde des affaires, avant d’entrer à la banque Rothschild.
Et ce n’est pas tout. Marc Ferracci, 39 ans, le fils de Pierre, professeur d’économie à l’université Panthéon-Assas et à Sciences-Po, spécialiste du marché du travail, est un ami intime d’Emmanuel Macron, qu’il a connu pendant ses études. Au sein des groupes d’experts d’En Marche !, il a supervisé la réflexion sur le programme social du candidat, à commencer par l’épineuse réforme du droit du travail proposée par l’ancien ministre de l’économie. Quant à l’avocate Sophie Ferracci, épouse de Marc, elle est la cheffe de cabinet d’Emmanuel Macron au sein du parti, après avoir exercé la même fonction lorsque celui-ci était au ministère de l’économie et des finances. Elle est chargée des déplacements du candidat. « Dans les bains de foule, elle est celle qui chuchote à l’oreille de Macron : “Il faut vraiment y aller là » », expliquait récemment Libération.
Preuve de l’étroitesse du lien qui les unit, Emmanuel Macron était le témoin du mariage de Marc et Sophie Ferracci, en Corse, en 2005. Quant à Marc, il fut l’un des deux témoins du mariage d’Emmanuel Macron avec Brigitte Trogneux, en 2007.
Jusqu’à présent peu connus dans l’île, où ils ne séjournent qu’en été dans leur maison familiale de Bonifacio, les Ferracci père et fils ont multiplié les apparitions dans les médias insulaires depuis la création d’En Marche !, dans le rôle de porteurs de la bonne parole d’Emmanuel Macron. Le 16 mars, Marc Ferracci assure ainsi dans Corse-Matin que le programme d’Emmanuel Macron permettra à la Corse d’« avoir l’ambition d’être une région leader ». « Emmanuel Macron est fondamentalement rocardien. Il est très européen et décentralisateur. Pour la Corse, il prône un développement économique basé sur les nouvelles technologies et les énergies renouvelables, en phase avec les idées de l’actuelle majorité territoriale », explique Pierre Ferracci à Mediapart.
Très à l’aise dans son rôle de conseiller aux affaires corses auprès du candidat, qu’il a présenté à Jean-Charles Orsucci et à Gilles Simeoni, le président autonomiste de l’exécutif de la Collectivité territoriale de Corse, Pierre Ferracci l’est beaucoup moins lorsqu’il s’agit d’évoquer ses constructions illégales dans la baie de Rondinara. Et pour cause. Sa société civile immobilière, Tour de Sponsaglia, propriétaire du terrain, a été condamnée le 8 février 2016 par le tribunal correctionnel d’Ajaccio à une amende d’un million d’euros, la peine maximale pour une infraction de ce type. Du jamais vu ! Il n’a pas interjeté appel, mais les associations de protection de l’environnement U Levante et ABCDE, parties civiles au procès, l’ont fait. « Nous demandons la démolition des villas et le retour du site à l’état naturel, en application d’un principe simple, celui de la réparation intégrale du dommage », va plaider Benoist Busson, l’avocat des associations.
Une demande inacceptable pour Pierre Ferracci, qui a pris la peine de faire un aller-retour Paris-Nice, un samedi matin, pour exposer son point de vue, de visu, à l’auteure de cet article. Il dénonce « l’acharnement des associations » contre son « rêve d’enfance ». « Enfant, j’allais faire de la chasse sous-marine au pied de ces rochers avec mon père. J’ai tout fait pour que les constructions s’intègrent au mieux au paysage, pour qu’elles soient les moins visibles possible. Je ne suis pas un spéculateur. »
Ses ennuis judiciaires ont commencé le 30 avril 2013, lorsqu’un procès-verbal d’infraction pour construction sans permis a été dressé par la direction départementale des territoires et de la mer (DDTM). Pour bien comprendre l’affaire, il faut remonter à 1990, l’année où Pierre Ferracci achète son exceptionnel terrain de 20 hectares en bord de mer, au prix de 2,5 euros le m2. Un prix dérisoire, justifié par l’éloignement de ce coin de paradis, sans route ni eau ni électricité, et par le bruit des bombes du FLNC qui, à l’époque, plombe le marché immobilier. Le 7 mars 1997, sa demande de permis de construire cinq villas sur 898 m2 lui est refusée par la mairie de Bonifacio. Mais c’est là, et nulle part ailleurs, qu’il veut édifier sa résidence secondaire. Il entame alors un long combat après de la justice administrative, qu’il finit par remporter le 12 janvier 2006 devant la cour administrative d’appel de Marseille : celle-ci juge que la SCI Tour de Sponsaglia bénéficie bien d’un permis de construire tacite, la mairie lui ayant répondu hors délai.
Fin 2008, Pierre Ferracci démarre donc ses travaux. Mais entretemps, il a modifié son projet immobilier : ce ne sont plus cinq villas mais deux, dotées d’une piscine, qu’il va édifier, sur une surface moindre et à un emplacement différent, éloigné de 150 mètres du lieu initialement prévu. Ce qui équivaut, aux yeux de l’administration, à une construction sans permis. Circonstance aggravante, les villas sont situées sur des « espaces naturels identifiés comme remarquables », où toute construction est interdite, à la fois par la loi sur le littoral de 1986 et par le plan local d’urbanisme de Bonifacio.
Par une lettre en date du 7 novembre 2013 adressée au procureur de la République d’Ajaccio, que Mediapart a pu consulter, le préfet Christophe Mirmand enfonce le clou : « Je me permets d’attirer votre attention sur ce dossier majeur en raison de l’importance des travaux et de leur situation (espace remarquable et proche du rivage), qui appelle une condamnation rapide avec mesure de restitution (remise en état des lieux dans leur état d’origine, sous astreinte). »
Curieusement, le maire de Bonifacio, lui, vole au secours du prévenu. Le 26 octobre 2015, il prend sa plume pour adresser une lettre de soutien à Pierre Ferracci, produite lors du procès pour sa défense. Après avoir reconnu que l’infraction était établie, Jean-Charles Orsucci estime que « la qualité du projet réalisé et son insertion dans le paysage plaide en faveur d’une décision de justice qui écarte l’option de la démolition ».
Pierre Ferracci doit comparaître dans ce dossier le 24 mai prochain devant la cour d’appel de Bastia. La loi Macron du 6 août 2015, adoptée aux forceps grâce au 49-3, ne lui sera d’aucun secours. Cette loi comprend pourtant l’article L.480-13 réformant le code de l’urbanisme, dénoncé par les députés écologistes, qui rend désormais impossible l’action en démolition de constructions jugées illégales… À une exception près : la démolition reste possible pour celles réalisées en secteurs protégés, dont font partie les espaces naturels remarquables comme celui de la Rondinara.