Le syndicat agricole a diffusé à ses adhérents un « guide de réponse » à une consultation lancée par la Commission européenne sur la politique agricole commune (PAC). 80 cases sont précochées et les réponses préécrites. Il s’agit de contrer la position des ONG sur le réchauffement climatique.
a prochaine fois que la Commission européenne lancera une « consultation publique », elle saura quoi faire : demander directement les réponses à la FNSEA. La Fédération nationale des syndicats d’exploitants agricoles prépare les réponses pour tout le monde ! Le 2 février dernier, la Commission a lancé une consultation publique européenne, intitulée « Moderniser et simplifier la politique agricole commune (PAC) », accessible – ici – sous la forme d’un questionnaire en ligne ouvert à tous les citoyens européens.
Pour « faciliter une réponse massive d’agriculteurs français », la FNSEA a décidé de diffuser à ses adhérents un « guide de réponse » où 80 cases sont précochées en rouge, et les réponses préécrites.
Cette curieuse méthode, qui laisse peu de place à l’expression des militants, vise explicitement à contrer les ONG et les environnementalistes. Mais ce pourrait être une tentative irrégulière de peser sur le résultat de la consultation. En effet, la FNSEA précise que la Commission européenne « accepte que plusieurs réponses proviennent de la même adresse IP : il est donc possible pour notre réseau d’organiser une réponse massive sur la base du fichier adhérents des FDSEA [fédérations départementales – ndlr], tout en veillant à diversifier a minima les réponses aux questions ouvertes », indique ce document. Les responsables du syndicat – c’est le service politique agricole qui a rédigé le guide – évoquent ainsi la possibilité de gérer eux-mêmes le contenu des réponses transmises, puisqu’ils recommandent dans leur document de veiller à les « diversifier ».
Un représentant de la Commission européenne joint par Mediapart a estimé cependant qu’« il ne s’agit pas d’un référendum, ni d’un vote populaire, mais plutôt de recueillir des propositions ». « On s’expose à ce type d’approche, que l’on n’apprécie pas, mais l’analyse va se porter non pas sur la quantité mais sur la qualité des réponses », a-t-il indiqué.
L’objectif du syndicat, ardent défenseur du productivisme agricole, est entre autres d’éviter qu’à l’issue de la consultation, la PAC n’intègre les engagements pris par l’Union européenne en matière de lutte contre le réchauffement climatique et de développement durable. « Une stratégie offensive a été retenue pour mettre en avant les préoccupations agricoles », expose ledit « guide de réponse ». « Il est facile d’imaginer les réponses des environnementalistes, aussi l’orientation proposée est de ne pas donner la position de la FNSEA, qui sera équilibrée, mais un accent fort sur l’intérêt uniquement agricole afin de contrebalancer les positions des ONG. »
La consultation se termine le 2 mai, et la FNSEA prévoit d’y répondre « officiellement », courant avril, avec un « document de position » qui n’aura rien à voir avec la teneur de son guide. Le syndicat met donc faussement en scène une position différente de celle qu’il soutiendra publiquement. C’est ainsi qu’il préconise de bouder purement et simplement certaines questions.
À la question 6, « Quels sont les principaux défis environnementaux auxquels est confrontée l’agriculture ? », la FNSEA recommande de « ne cocher aucune proposition, car aucun défi environnemental supplémentaire n’est souhaitable dans la PAC ».
À la question 25, « pour quels objectifs de protection de l’environnement la PAC devrait-elle faire davantage ? » qui offre sept suggestions – réduction de la pollution de l’eau, inondations, perte de biodiversité, érosion des sols… –, la FNSEA préconise aussi de répondre « Aucun ! ».
Sans préciser l’origine de cette information, le syndicat agricole croit savoir que « les ONG, allemandes notamment, ont déjà fait plus de 8 000 réponses à ce questionnaire ». « Il apparaît donc nécessaire de mobiliser le plus possible notre réseau pour peser face aux ONG dans le strict intérêt des agriculteurs », expose la FNSEA.
Le « guide de réponse » a été mis en ligne, semble-t-il par erreur, par la fédération départementale de l’Orne. « Où avez-vous récupéré ça, vous ? » s’est inquiétée la présidente de la FDSEA de l’Orne, Anne-Marie Denis, jointe par Mediapart, avant de comprendre que le document était en accès libre et téléchargeable à partir de son site, ici.
Le document résume « les orientations souhaitées par les agriculteurs », défend-elle. « Si on leur donne le document brut, ils ne répondent pas. Le guide leur donne des idées, leur ouvre la possibilité de dire ce qu’ils attendent. » Le souhait de répondre à partir d’une même adresse IP vient du fait que « bon nombre d’agriculteurs ont quelques difficultés de connexion sur leur exploitation ». « Ils ont moins l’habitude de se servir d’Internet, juge la présidente de la FDSEA. Et à plusieurs, on peut se retrouver pour répondre à partir d’un endroit où ça passe. Mais je ne connais pas du tout les réponses de mes agriculteurs. Certains m’ont demandé : “Anne-Marie, tu ne veux pas le faire pour moi ?” Mais il n’en est pas question. Je n’ai pas du tout envie de faire le travail à leur place. »
En réalité, la réponse massive des agriculteurs est plus étudiée que l’on ne croit dans l’Orne. « Sur les 34 questions, 27 sont fermées avec un choix multiple à effectuer, 5 sont ouvertes, dans la limite de 1 500 signes, précise le guide. Si les réponses identiques [les « copier-coller » – ndlr] seront annulées, les idées fortes apparaîtront suite à une analyse statistique. L’usage des mots-clés est un moyen de faire passer nos préoccupations. »
La première partie des « propositions de réponse » vise logiquement à « cibler uniquement la priorité agricole » et le « niveau de vie pour des agriculteurs », ainsi que les différents mécanismes de soutien prévus par la PAC. Dotée de 59 milliards d’euros annuels – qui représentent 1 % des dépenses publiques de l’UE –, la PAC est un revenu à défendre pour le syndicat français et ses homologues libéraux du COPA-COGECA (Comité des organisations professionnelles agricoles-Comité général de la coopération agricole de l’Union européenne) auquel il appartient.
En février, le secrétaire général du COPA-COGECA, Pekka Pesonen, s’était « réjoui » du lancement de cette consultation publique « qui permet de faire entendre la voix des agriculteurs ». Cependant, il avait souligné que la PAC a « plutôt bien fonctionné jusqu’à présent » et que son organisation préconisait « une évolution plutôt qu’une révolution ».
C’est ce que l’on peut relever sur le « guide de réponse » de la FNSEA : « nécessité d’être positif, car nous devons défendre la PAC » (page 3). Au sujet des contours de la future PAC, on peut noter la réponse « pas d’accord » à l’affirmation « La politique agricole devrait avoir davantage d’effets bénéfiques sur l’environnement et le changement climatique » (page 9). « Pas d’accord » non plus pour abonder dans le sens de cette suggestion : « Les agriculteurs doivent respecter des normes plus strictes sans soutien financier spécifique. » « Pas d’accord » enfin pour « réduire les doubles emplois entre les mesures de développement et les autres mesures de la PAC ». Le document intégral est téléchargeable ici.
Dans une réponde écrite à Mediapart, la FNSEA explique que « l’appel à mobilisation » « lancé à son réseau » vise « simplement à faciliter les réponses des agriculteurs français au questionnaire ». Selon le syndicat, « 150 ONG » auraient fait de même. C’est le cas du réseau Living Landqui a mis (ici) en ligne lui aussi un guide de réponses recommandées, mais favorables à l’environnement. « Cette méthode de sensibilisation est parfaitement conforme au droit communautaire et à l’état d’esprit même de la consultation publique, assure la FNSEA. Nous vous rappelons en effet que seuls les agriculteurs identifiés nominativement sont susceptibles de formuler leur réponse. »
« Au 30 mars, nous avions déjà reçu plus de 25 000 contributions, a précisé à Mediapart Daniel Rosario, porte-parole pour l’agriculture et le développement rural de la Commission. Toutes les contributions sont prises en compte, lues et analysées. C’est le but d’une consultation publique ouverte à tous : rassembler les avis et perceptions d’un éventail aussi large que possible de citoyens, et de parties prenantes. » Le porte-parole, qui rappelle également que la consultation n’est « pas un vote », souligne en outre « que toutes les contributions reçues seront rendues publiques, sauf si les participants décident de cocher la case prévue à cet effet au début du questionnaire pour garder leur contribution privée, ce qui est la minorité des cas ».
Phil Hogan, le commissaire européen à l’agriculture, doit publier les résultats de la consultation en juillet.