Le journal d’investigation russe, Novaya Gazeta, a révélé le 1er avril que des centaines d’homosexuels avaient été arrêtés et torturés en Tchétchénie. Trois auraient été tués. Les ONG réclament l’ouverture d’une enquête.
Le journal d’investigation indépendant russe Novaya Gazeta a publié, samedi 1er avril, un article mettant en cause la police de la République russe de Tchéchénie, qui aurait organisé l’enlèvement d’une centaine de personnes lesbiennes, gays, bisexuels et trans (LGBT) ou soupçonnées de l’être. Elles auraient été maltraitées et brutalisées. Trois personnes au moins auraient été tuées, selon des sources au sein de la police et du gouvernement.
D’après les témoignages anonymes que la journaliste Elena Milashina a recueillis, les détenus seraient torturés. On les contraindrait à livrer les noms d’autres homosexuels de leur entourage. Certains sont libérés, soit contre une rançon, soit faute de preuves. Depuis cette vague d’arrestations, la plupart des homosexuels ont fermé leurs comptes sur les réseaux sociaux. D’autres ont fui car ils connaissaient quelqu’un qui a été arrêté, ce qui peut les désigner comme des victimes potentielles.
Ces faits ont été confirmés par l’ONG Human Rights Watch dans un communiqué. « Nous avons une multitude de sources indépendantes les unes des autres sur le terrain qui disent la même chose », confirme Boris Dittrich, directeur de la défense des droits des LGBT à Human Rights Watch, joint par France 24. « Les gens craignent pour leur vie. Beaucoup d’entre eux essaient de fuir. Certains vont ailleurs en Russie mais c’est une solution provisoire et peu sûre. Ces personnes ont besoin d’aide pour sortir de Tchéchénie et de Russie le plus vite possible », estime le porte-parole de l’ONG, qui appelle les pays de l’Union européenne à « leur accorder le droit d’asile dès que possible ».
Human Rights Watch rappelle que les personnes qui réchappent de ces persécutions ne sont pas forcément tirées d’affaire. « Il y a un tel degré d’homophobie en Tchétchénie, que les personnes LGBT peuvent être visées par leur propre famille et être victimes de ‘crimes d’honneur' », explique Boris Dittrich.
Novaya Gazeta évoque également l’existence d’un centre d’internement dans un ancien bâtiment militaire de la ville d’Argoun, dans l’est de la région. L’une des sources affirme qu’il servirait de lieu de détention secret. Quant aux responsables de ces persécutions, le journal désigne des personnalités haut placées : Magomed Daoudov, président du Parlement tchétchène, et Aioub Kataev, chef de la police d’Argoun.
Boris Dittrich se refuse pour sa part à parler de « camps de concentration pour homosexuels ». En revanche, il existe, selon lui, des lieux de détention informels : « Ces endroits ont été utilisés depuis des années contre des groupes ciblés comme les drogués. À présent, ils sont utilisés contre les homosexuels ou les hommes perçus comme tels ».
Cynisme des autorités
En raison de sa publication un 1er avril, le porte-parole du ministère de l’Intérieur de Tchétchénie a qualifié les accusations du journal de « poisson d’avril » avant d’affirmer qu’il n’y avait aucun homosexuel en Tchéchénie et, que « si de telles personnes existaient, les autorités n’auraient pas à s’en faire puisque leur propre famille les enverrait à un endroit dont on ne revient pas ». Une réponse jugée « choquante et cynique » par Boris Dittrich.
Le 3 avril dernier, le porte-parole du Kremlin à Moscou, Dimitri Peskov, a annoncé que le pouvoir central n’était pas au courant de ces persécutions tout en croyant bon de préciser qu’il n’était pas spécialiste « en relations non-traditionnelles ». Selon RFI, il a conseillé aux victimes de déposer plainte auprès de la police… Celle-là même que l’article de Novaya Gazeta met en cause. La médiatrice russe pour les droits de l’Homme dit quant à elle n’avoir reçu aucune plainte, toujours selon RFI.
Les ONG et le Conseil de l’Europe tirent la sonnette d’alarme
« Human Rights Watch a envoyé au président du comité d’enquête de la Fédération de Russie (l’organe principal d’enquête en Russie) une lettre demandant l’ouverture d’une enquête ainsi que des garanties concernant la sécurité des victimes », a indiqué Boris Dittrich à France 24.
« Peu après la publication de l’information de Noveta Gazeta, nous avons publié un appel à action urgente. Nous exigeons que les autorités russes se saisissent du dossier », a déclaré de son côté Alexander Artemyev, porte-parole d’Amnesty International en Russie, joint par France 24.
De leur côté, des membres de l’ONG Russian LGBT network ont ouvert une ligne téléphonique d’urgence pour aider les victimes à se mettre en sécurité en dehors de la région. « Si vous vous sentez en danger, si l’on vous menace, contactez-nous immédiatement à l’adresse kavkaz@lgbtnet.org », propose l’organisation.
Le Secrétaire général du Conseil de l’Europe, Thorbjorn Jagland, a également demandé aux autorités russes d’enquêter sur les révélations de Novaya Gazeta et de Human Rights Watch. Les ministères des Affaires étrangères britannique et allemand ont quant à eux exigé que la sécurité des personnes LGBT soit garantie en Tchétchénie.