Il fait rire le Brésil depuis des années. Surtout ce Brésil désemparé par le reflet grimaçant, raciste, misogyne et rétrograde que renvoie le miroir grossissant de l’actualité. Ce 18 avril pourtant, sur ARTE, l’humoriste Gregorio Duvivier ne veut plus amuser les foules mais comprendre. Comprendre comment le Brésil de Lula, montré en exemple dans le monde entier par les riches comme par les pauvres, s’est effondré si vite, et pourquoi, peut-être, il s’agit plus que d’une péripétie de l’actualité, mais d’un « grand bond en arrière ». C’est d’ailleurs le titre de ce beau documentaire que nous proposent les journalistes Fredérique Zingaro et Mathilde Bonnassieux pour décrire et décrypter la plongée suicidaire du Brésil.
Le 17 avril 2016, il y a exactement un an, le Congrès brésilien enclenchait le processus ubuesque qui débouchera, cinq mois plus tard, sur la destitution de Dilma Rousseff, première femme élue à la tête du Brésil, celle-là même dont Lula vantait les mérites. Si Duvivier peine à comprendre, c’est que si les torts de Dilma Rousseff sont considérables, elle ne pèche pas par honnêteté, au contraire de l’immense majorité des députés qui l’ont condamnée, et du gouvernement qui lui a succédé. Comme des millions de ses concitoyens, il peine à saisir comment, un demi-siècle après le coup d’Etat, le Brésil joue avec le feu une nouvelle fois en mettant en danger sa démocratie, avec une destitution volontiers qualifiée de « coup d’Etat ».
« Quand la démocratie est bafouée par ses propres armes – le parlement, la presse notamment – comment lutter et essayer de susciter un débat quand on est un simple citoyen ? C’est le cas de Gregorio Duvivier, mais à la différence de l’immensité de la population, sa parole à lui peut se faire entendre« , explique Frédérique Zingaro. On va donc suivre l’humoriste engagé pour découvrir les erreurs, les calculs rapides et ingénus de la gauche au cours des quinze dernières années. Grâce au documentaire, on va comprendre un peu mieux la structure de l’élite brésilienne et ses liaisons incestueuses avec la grande presse, et ses dérives dans la religion, avec le pouvoir croissant des évangéliques. Le film dépeint notamment le fonctionnement du tout puissant lobby de l’agro-business, qui n’a jamais été inquiété par les gouvernements progressistes, ou à peine.
Au-delà de tout engagement partisan, le « grand bond en arrière » décrit la destruction systématique non seulement des programmes sociaux introduits à partir de 2003, mais des acquis de la jeune démocratie brésilienne, un système de santé public certes lacunaire, mais fonctionnel, une université publique injuste, mais de qualité…. La seule photo du gouvernement de Michel Temer résume cette gigantesque coup de frein : un groupe d’hommes, vieux, blancs, riches, issus d’une poignée de métropoles. Pas de noir, pas d’indigène, pas de femme, pas de mouvement social, pas de paysan. Ceux-ci sont dans la rue, et comme Duvivier, la notoriété en moins, tentent de résister. Le documentaire décrit leur tristesse, mais aussi leur combativité, une lueur d’espoir. Un film dense, parfois trop, du fait de la difficulté d’expliquer une conjoncture complexe à un public franco-allemand. Mais à voir, à tout prix, pour commencer à comprendre, et toujours, débattre.