A 12h, 28,5% de participation, présidentielle (partie 1)

  Nantes indécise, procuration dans le centre, mobilisation en périphérie

Pierre-Yves Bulteau à Nantes:

Samuel attend le retour de son amie, partie dans le secret de l’isoloir. Les mains dans les poches. On l’interroge sur le sens de son abstention. Il plante son regard noisette dans le vôtre et lâche simplement. « J’ai toujours voté par procuration. » Originaire de Bayonne, cet étudiant en M1 de biologie participe à sa deuxième Présidentielle. « Contrairement à 2012, cette fois-ci, ce n’était pas clair. Je voulais voter blanc parce que beaucoup trop d’orientations programmatiques me hérissaient le poil. » Et puis, les discussions avec les potes à la fac, au téléphone avec la famille, lui ont fait changé d’avis. « Ce matin, j’espère », dit simplement Samuel. Comme lui, Jacqueline a modifié ses plans. « Hier, je me suis dit qu’il fallait y aller et que je ne serai sûrement pas la seule à penser comme ça. »

A 13h, ils étaient 47,19% à avoir, comme cette retraitée, franchit le seuil du bureau de vote n°3. Niché au cœur du quartier populaire Preux-Crémetterie, au nord-ouest de Nantes, ce groupe scolaire voit défiler des jeunes, des familles, des couples. Sans discontinuer. « On sait que dans nos quartiers prioritaires quand les gens votent, ils le font plutôt le matin, explique Jean-Yves Crenn, le président de ce bureau de vote où sont inscrits 926 électeurs. Mais là, je dois reconnaître que ça n’arrête pas. » Dans la ville voisine de Saint-Herblain, le directeur de cabinet confire cette impression. « En 2012, à midi, on comptait 30,71% de votants. Aujourd’hui, à la même heure, nous en sommes à 32,36%. » Une mobilisation des quartiers populaires qui contraste, à l’heure où nous publions ces lignes, avec les chiffres des bureaux de vote du centre-ville.

D’après les derniers éléments communiqués par la Ville de Nantes, le taux de participation, à 11h, s’élevait à 19,77%. Pour une moyenne départementale de 25,53%, à midi. Soit près de trois points de moins que la moyenne nationale. Au bureau 121, en plein quartier de la gare, 35,26% des inscrits avaient fait le déplacement à 13h. Là encore, plus de deux points de recul par rapport à 2012, à la même heure. « Nous sommes un dimanche particulièrement ensoleillé, en fin de vacances, nuance Corinne, sa présidente. Cette année, nous avons également 97 procurations sur 967 inscrits, ce qui est assez exceptionnel, et tous leurs mandataires ne sont pas encore venus voter. » De mémoire, Corinne pari pourtant « sur une très forte mobilisation entre 18h et 20h. Ca va être le rush », image-t-elle.

 

Louise Fessard à Marseille :

Dans le riche 8e arrondissement de Marseille, ni l’affaire des emplois familiaux de François Fillon, ni celle de ses costumes n’ont découragé ses électeurs. Ici, on est de droite et on vote à droite, sans état d’âme. Vers midi, Martine Vassal, présidente LR des Bouches-du-Rhône et adjointe au maire de Marseille Jean-Claude Gaudin, passe une tête à l’école Prado Plage. « Passez le bonjour à vos parents, nous avions passé le 14-Juillet sur leur bateau, c’était très sympa », lance un jeune couple à l’adjointe au maire de Marseille. Dans la cour de récréation inondée de soleil, les salutations pleuvent comme à un raout mondain. Ça parle petits-enfants, cousins et repas de Pâques. Pas politique, comme si le choix était une évidence.

« Ça a beaucoup perturbé nos électeurs, ces affaires, mais il y a aussi eu un ras-le-bol sur la fin de la campagne : “arrêtons de stigmatiser Fillon” », explique Martine Vassal. « Les gens ont regardé les autres programmes et ont bien vu qu’il était le seul à vouloir changer notre quotidien. » Polo rose et livre d’Alain Finkielkraut – La Défaite de la pensée – à la main, Yann, un conseiller financier, est venu de Londres, où il vit depuis quinze ans et possède « deux biens », avec sa fiancée Flavia pour préparer leur mariage à Marseille. « Finalement, la droite est balayée par les mises en examen : Sarkozy, Woerth, maintenant Fillon. Un de plus ou de moins… » Pro-européen convaincu, il a donc voté Fillon par procuration, sans aucune hésitation. Parce qu’il est de droite et à cause de l’« aspect pragmatique de son programme économique, des 500 000 suppressions de poste de fonctionnaires ».

Flavia, 33 ans, également, même si les casseroles du candidat LR, l’ont plus ébranlée. « Il s’est présenté comme le chevalier blanc, alors que c’est lui qui a le plus de casseroles, regrette la jeune femme, marketing manager à Londres. Mais la radicalité de son approche économique est nécessaire vu la situation catastrophique. » Elle est prête à voter Macron au second tour pour contrer Le Pen, mais la catastrophe absolue serait « Mélenchon-Le Pen ». « Je vote Le Pen car Mélenchon me terrorise », dit en riant la jeune femme sous son panama, sous les regards amusés de son fiancé et de sa mère, elle aussi pro-Fillon.

Bruno, 60 ans, n’a lui non plus d’états d’âme, si ce n’est pour parler à une journaliste de Mediapart. « L’histoire du Canard enchaîné n’a aucun impact, ce sont des pratiques ancestrales en France », dit ce directeur d’une entreprise commerciale liée aux bars PMU. « Fillon a fait ce que les autres font avec une allocation qui lui est allouée pour gérer comme il l’entend son mandat. » À ses côtés, sa compagne Marie, une blonde peroxydée de 65 ans, renchérit : « Ils ne vont pas vivre comme quelqu’un au RSA, ils ont besoin d’un peu de représentation, c’est normal qu’ils aient des avantages. » Quant aux costumes offerts par l’avocat Bourgi, protagoniste de la Françafrique, « c’est normal, n’importe quelle star on lui file des costumes ».

Une pochette à la main et en baskets à talons, Hélène, 45 ans, dans l’immobilier, a également voté « à droite, toujours sur le même bord, par rapport à l’insécurité… ». « Aux attentats », ajoute sa petite-fille, en jogging rose. « Oui, j’ai des enfants, on a de la famille dans l’armée et la police, aujourd’hui des flics se font tuer à bout portant dans le quartier le plus doré de Paris et on sait qu’ils auront plus de moyens de travailler avec la droite ! », opine du chef Hélène. Elle cite aussi son activité « mise en difficulté par les charges sociales, les lois fiscales et tout ça ».

Au Mans, un électeur a expérimenté le vote électronique et fait, sur Twitter.

Faïza Zerouala est à Paris :

Devant le bureau n° 60-62 situé rue Tandou dans le XIXe arrondissement, les affiches électorales ont été revisitées. François Fillon a écopé d’un « rends l’argent », slogan officieux qui aura ponctué sa campagne parmi ses opposants. Un couple de quinquagénaires, Jean-Pierre et Isabelle, bras dessus, bras dessous sourient en révélant leurs votes. Ils ont « pour la première fois  en dix ans » pu voter la même chose : Emmanuel Macron.

Le quartier a le cœur à gauche. En 2012, 67,64 % des suffrages sont allés à François Hollande au deuxième tour. Jean-Pierre se définit de droite. Mais pour celui qui travaille comme sa compagne dans l’informatique, il aurait été inconcevable de donner sa voix à « celui qui pique dans la caisse », François Fillon. Son vote Macron, il le justifie par sa peur « des extrêmes », à savoir Jean-Luc Mélenchon et Marine Le Pen.

« Macron est un bon compromis, c’est le moins pire. Ça fait une quinzaine de jours que je me suis décidé. » Sa compagne, elle, se définit plutôt à gauche. Elle a participé à la primaire de la gauche et a voté pour Manuel Valls. Elle a hésité « jusqu’à hier soir » entre Benoît Hamon et Emmanuel Macron, avant de se résoudre à soutenir ce dernier. « Les deux ne sont pas à la hauteur. Hamon manque de stature présidentielle. Macron ne propose pas vraiment d’analyses de fond mais peut rassembler le plus de voix. » Les deux trouvent que la campagne, « à cause des journalistes », n’a pas été intéressante car focalisée sur les affaires.

À la sortie du même bureau, André, 56 ans, artiste peintre, partage cette analyse. Ce sympathisant des Républicains a voté François Fillon, « qui a une vraie stature et représente bien la France. C’est un bel homme par rapport aux autres ». Les affaires révélées par la presse sont « sales ». Pour lui, son candidat n’est « pas un voleur ». Tout relève d’après lui de la calomnie journalistique. « Il est combattant, la preuve il a combattu la justice si on peut dire. Son programme est le meilleur, même si cette campagne a été un beau cirque. »

Sylvie, 46 ans, réalisatrice de documentaire, est venue voter par procuration pour une amie. Les deux ont choisi Jean-Luc Mélenchon. « Je suis plus proche des idées de Benoît Hamon, mais il a peu de chances de s’en sortir. J’aime son équipe, par exemple Christiane Taubira. J’ai d’ailleurs voté pour lui à la primaire de gauche. » La quadragénaire croise une connaissance, dépitée, qui lui dit : « J’ai voté pour le perdant ». Elle rit et dit « Il a donc voté Hamon… » Elle justifie son choix final par la tactique : « Mélenchon a plus de chances d’accéder au second tour. » La campagne l’a globalement amusée : « Ce fut un feuilleton plein de rebondissements. » Un instant, elle confie avoir été « intriguée » par Macron, mais n’a pas songé à réellement voter pour lui.

Eh oui, Mediapart, journal totalement indépendant, énerve les uns et les autres. Découvrez ces courtes vidéos, petit arrêt riant entre deux bureaux de vote. C’est ici :

https://www.youtube.com/playlist?list=PL0H7ONNEUnntWa99SQPtQMnsuFjvi_7dBhttps://www.youtube.com/playlist?list=PL0H7ONNEUnntWa99SQPtQMnsuFjvi_7dB

  A Lille-Lomme, on vote pour « le grand changement »

À Lille, notre correspondant Alexandre Lenoir.

Dominique, 61 ans, a patienté 20 minutes pour glisser son bulletin dans l’urne. Avant le repas du dimanche, elle est retournée à l’école George-Sand. Comme il y a cinq ans. Mais son vote, lui, a changé. « C’est carrément nouveau », sourit cette désormais ex-électrice socialiste, « il faut un grand changement. Plus rien ne fonctionne ». Son fils de 25 ans acquiesce, « trop de délinquance… et les médias n’en parlent jamais ». En 2012, Lomme avait créé la surprise. Les électeurs de ce quartier populaire avaient choisi Marine Le Pen à 21 %. Du jamais vu à Lille, où le FN n’avait recueilli « que » 13,4 % en 2012. Aujourd’hui, le mot « changement » revient en boucle dans la bouche des Lommois. Et on voit mal comment Marine Le Pen pourrait ne pas progresser. « Il y a ce fort sentiment de ne pas être entendu », glisse Laurence, la secrétaire du bureau de vote. Qui en 20 ans d’élections n’a jamais vu une participation aussi forte.

Pour le Washington Post, cette élection ne concerne pas que la France. Elle pourrait redessiner le visage de l’Europe.

Selon les chiffres de participation donnés à la mi-journée par le ministère de l’intérieur, les départements ayant le plus voté sont le Gers (38,46 %), la Corrèze (38,11 %) et le Cantal (36,34 %). Ceux qui ont le moins voté sont le Pas-de-Calais (23,35 %), le Val-de-Marne (21,21 %) et le Val-D’Oise (20,65 %). À Paris, le taux de participation s’élevait à 24,24 %.

Et si, pour une fois, nous parlions de « Nous, président.e.s » ?

Pourquoi le choix d’un vote tactique dit « utile », d’un vote billard à trois bandes construit sur le château de sable des sondages apparaît particulièrement hasardeux.

Il s’est rallié à la candidature Fillon. Soutien public, l’est-il dans le secret de l’isoloir ?

À Hénin-Beaumont, ville du maire FN Steeve Briois, une douzaine de Femen ont été interpellées lors d’une manifestation organisée près d’un bureau de vote, rapporte TV5 Monde.

L’analyse de l’hebdomadaire allemand Der Spiegel

La crise qui secoue la France n’est pas seulement liée à l’économie ou au terrorisme. La démocratie, la capacité du système politique à appréhender les défis futurs sont questionnées dans cette élection, analysent les journalistes du Spiegel.
« Ce n’est pas seulement un système d’élite qui prend fin, un système qui ne semble plus approprié à relever les défis actuels et futurs. Parfois, il semble qu’un sujet de préoccupation différent soit encore plus pressant, à savoir si le système politique français est même capable d’accomplir les tâches qui lui sont assignées.

« C’est une question effrayante, qui, jusqu’à récemment, a rarement été soulevée dans des démocraties hautement développées. Mais aujourd’hui, c’est un facteur crucial dans certaines des plus grandes et les plus anciennes démocraties au monde : en Grande-Bretagne, aux États-Unis et maintenant en France », relèvent les journalistes du Spiegel,avant de souligner la grave crise de confiance et de représentation qui secoue la France, alimentée à nouveau par l’affaire Fillon.

« Il est clair que l’électorat français n’a plus confiance dans sa classe politique et que l’hypothèse de la compétence des dirigeants politiques a été remplacée par le soupçon d’incompétence générale. Il y a aussi un doute inquiétant et fondamental sur l’intégrité morale des élus et des représentants nommés par le gouvernement. Parfois, il semble que beaucoup de Français soient au-delà du désenchantement politique, comme s’ils s’étaient installés dans un nouveau monde de dégoût politique. Un nouvel engagement à ne pas voter et à privilégier  l’abstention est devenu un thème quotidien du discours public. »

http://www.spiegel.de/international/europe/french-presidential-election-a-battle-of-left-right-extremes-a-1143745.html

Martine Orange a fait un petit tour dans la presse étrangère. Cela donne ça :

Tous les principaux journaux étrangers européens ont décidé de suivre en direct l’élection présidentielle en France. Si la Tribune de Genève (Suisse) ou Le Soir (Belgique) sont des habitués des élections françaises, donnant bien avant la fermeture des bureaux de vote en France les premières tendances des scrutins, il est plus rare de voir le Frankfurter Allgemeine (Allemagne) ou La Stampa (Italie) suivre en continu une élection française. Car cette élection placée « sous le signe de l’incertitude », insistent tous les médias étrangers, inquiète tous les partenaires de la France.

L’avenir de l’Union européenne est au cœur de leurs préoccupations. « Pensez-vous avec nervosité aux élections présidentielles qui se déroulent aujourd’hui en France ? Si oui, vous avez raison, parce que le résultat pourrait affecter notre vie, la société, l’économie, la politique. Et même les exigences minimales de sécurité en Europe. Ce ne sont pas les élections habituelles. Dire d’un événement qu’il est un “moment crucial” est un lieu commun, mais dans ce cas, il se peut qu’il en soit ainsi », prévient le journaliste Bill Emmott dans La Stampa, soulignant, comme nombre de ses confrères, que le résultat de cette présidentielle a des implications bien plus larges que le vote anglais sur le Brexit en juin 2016.

« Ce dimanche, les Français n’ont pas que leur sort entre les mains, mais aussi le nôtre, celui de l’Europe, ce projet qui, de l’avis général, ne résisterait pas à un Frexit », insiste Béatrice Delvaux dans Le Soir. « Europe versus non-Europe, ouverture versus fermeture, internationalisme versus nationalisme, capitalisme versus anticapitalisme, élites versus le peuple : tous ces matchs essentiels se jouent ce dimanche, résonnant particulièrement auprès de nos sociétés traversées par d’identiques fractures et interrogations, soumises aussi à la même menace mortifère contre nos équilibres et pratiques démocratiques : le terrorisme », avant de se demander quelle pente décideront de suivre les Français

  Nantes, indécise, vote par conviction

Notre correspondant à Nantes, Pierre-Yves Bulteau :

Au bureau de vote Ledru-Rollin, au sud de Nantes, le flux est continu. Anaëlle a le sourire. « J’ai eu 18 ans, il y a un mois. Pour rien au monde, je n’aurai manqué ça. » « Dans le contexte, ça peut surprendre, reprend Gwenaëlle, sa mère, mais on vote aussi par plaisir. » Et par conviction. « Je n’étais pas d’accord avec le programme économique de leur candidat », explique Jean-Claude, le père. « Nous avons lu et pesé ensemble, le coupe sa femme. Il n’y a pas photo, celui qui a le vent en poupe aujourd’hui est également celui qui a les propositions les plus utiles pour le pays. »

Pour Marie-Christine aussi, c’est la lecture des professions de foi qui a fait la différence. Mais pas dans le sens qu’elle imaginait. « D’habitude, je vote pour un parti mais là, à la tournure des phrases, j’ai su pour qui je ne voterais pas. J’ai fait le choix des valeurs contre celui de la stratégie. Même si mon candidat ne se qualifie pas. »

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