Rencontre Macron-Poutine: «La France est entre Moscou et Washington»

Quel sens donner à la rencontre au sommet Macron-Poutine? Comment s’annonce l’avenir des relations franco-russes après le tête-à-tête de Versailles? Sputnik fait le point dans cet entretien avec le général Dominique Trinquand et Emmanuel Dupuy, président de l’Institut Prospective et Sécurité en Europe (IPSE).

MM. Poutine et Macron ont tenu une conférence de presse conjointe dans la Galerie des Batailles du Château de Versailles, abordant les questions de la Syrie, de l’Ukraine, de la Tchétchénie, de la campagne électorale française et des droits de l’Homme. Le général Dominique Trinquand et Emmanuel Dupuy, président de l’Institut Prospective et Sécurité en Europe (IPSE), commentent pour Sputnik les perspectives des relations franco-russes.Reprise du dialogue

Selon Dominique Trinquand, ancien chef de la mission militaire auprès des Nations unies, spécialiste de la gestion de crise et des opérations de maintien de la paix, la reprise du dialogue avec la Russie est une priorité pour Emmanuel Macron.

« Je crois que le président Macron a demandé cette rencontre le plus rapidement possible pour remettre sur la table un sujet qui lui tient à cœur: la France est entre Moscou et Washington, et elle assure le lien. C’est une vieille tradition gaulliste, de placer la Russie en Europe et de pouvoir dialoguer. L’échec de la réunion qui devait avoir lieu en octobre 2016 pour l’inauguration de la cathédrale orthodoxe russe est très frais, et le président Macron souhaite dialoguer avec la Russie, c’est une constante. Par ailleurs, la lutte contre le terrorisme est une de ses priorités, et dans ce cadre-là, la Russie a un rôle particulièrement important à jouer », a déclaré Dominique Trinquand.

Emmanuel Dupuy, président de l’Institut Prospective et Sécurité en Europe (IPSE), spécialiste des relations internationales, estime lui aussi qu’Emmanuel Macron milite pour des relations équilibrées avec la Russie.

« Concernant cette rencontre, il y a deux manières de voir les choses. On peut penser, comme le font un certain nombre de médias, que c’est une faute de la part d’Emmanuel Macron, comme l’était la réception du colonel Kadhafi par Nicolas Sarkozy en 2007. Moi, je préfère retenir que cette réunion s’inscrit dans une profondeur, puisque c’est les 300 ans des relations diplomatiques franco-russes, et qu’il était important que cette rencontre ait lieu maintenant, après la réunion du G7 où la Russie n’était pas présente, et avant le G20 en juillet prochain à Hambourg. Je crois qu’Emmanuel Macron a bien compris l’importance d’avoir une relation d’équilibre avec la Russie, surtout parce que les relations avec les États-Unis semblent très perturbées », indique M. Dupuy.
Sanctions contre la Russie

Pour Emmanuel Dupuy, Emmanuel Macron est conscient que de mauvaises relations avec la Russie ne peuvent être que néfastes, notamment au niveau économique:

« Je crois que le président Macron a voulu montrer à quel point la relation perturbée entre la France et la Russie pouvait avoir des conséquences économiques. Le président l’a rappelé, près de 500 entreprises françaises sont présentes à Moscou, et la France est le premier employeur en Russie, hors pays du voisinage. Et puis il y a aussi un certain nombre de perspectives nouvelles, notamment dans la coopération industrielle, avec par exemple la présence d’intérêts russes dans Airbus ».Bien que le G7 ait évoqué samedi l’éventualité de nouvelles sanctions contre la Russie, le général Trinquand estime que la France est assez naturellement disposée à vouloir lever les sanctions contre la Russie, contrairement à d’autres pays occidentaux.

« Les marchés français, notamment agricoles, sont très importants en Russie. Donc la France a une tendance naturelle à vouloir changer la donne. Il y a d’autres pays comme les États-Unis qui poussent beaucoup au maintien des sanctions auprès d’un certain nombre de pays de l’Union européenne. Et puis il y a les pays d’Europe centrale, qui sont toujours inquiets de voir ce qui se passe à leurs portes et qui, il y a une trentaine d’années, étaient encore sous la coupe du Pacte de Varsovie », indique le général Trinquand.

Syrie

Sur la question syrienne, Dominique Trinquand et Emmanuel Dupuy considèrent tous deux que les positions des présidents Macron et Poutine ne sont pas incompatibles.

Selon Dominique Trinquand, « Il ne faut pas oublier les paroles d’Emmanuel Macron, qui a dit que nous ne pourrons vraiment lutter contre les extrémistes en Syrie que s’il y a un gouvernement qui tient. C’est typiquement une expression qu’on pourrait entendre chez les Russes! Bien sûr, après se pose la question de qui sera dans ce gouvernement, mais ça c’est un autre sujet. »

Emmanuel Dupuy trouve également « qu’il n’y a pas de contradiction entre les « lignes rouges » fixées par l’un et l’autre ».

« La question du chimique (attaques chimiques, ndlr) a aussi beaucoup perturbé les Russes. Le bombardement de Khan Cheikhoun a sans doute contrarié l’agenda plus diplomatique et moins militaire qu’ils avaient après la chute d’Alep. On se souvient d’ailleurs que la Russie avait invité la communauté internationale à penser à la reconstruction, avait invité l’ensemble des belligérants à dialoguer, à Genève et à Astana, et avait appelé de ses vœux la mise en place d’un gouvernement inclusif. Je ne vois pas de différence majeure avec la position d’Emmanuel Macron ».

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