Des navires de la marine chinoise ont mis le cap sur Djibouti pour construire une base logistique dans la région de la corne de l’Afrique, a annoncé mercredi l’agence de presse Xinhua se référant aux autorités chinoises. Ce sera la première base militaire de la Chine à l’étranger
Des intérêts financiers
L’intérêt du gouvernement chinois pour ce petit État d’Afrique orientale est parfaitement logique. En effet, la frontière ouest de Djibouti se situe dans la zone la plus étroite du détroit de Bab-el-Mandeb qui relie la mer Rouge au golfe d’Aden. Son importance économique et stratégique est immense: à travers ce goulot large de seulement 26 km passent tous les navires européens qui arrivent en mer Rouge depuis la Méditerranée via le canal de Suez à destination de l’Asie de l’Est et du Sud, ainsi que de l’Australie. De plus, c’est par le détroit de Bab-el-Mandeb que transite une grande partie des cargos pétroliers en provenance d’Arabie saoudite.
«Le monde entier comprend l’importance géographique de Djibouti, explique Igor Korottchenko, rédacteur en chef du magazine Défense nationale. Des bases militaires des USA, de l’Allemagne, de l’Italie et de l’Espagne sont implantées dans ce pays. De facto, Djibouti vit grâce à la location de son littoral. Ces 20 dernières années, la Chine a investi activement dans les pays d’Afrique et considère cette région comme la source principale de son développement industriel et économique. La Chine a besoin d’une base militaire à Djibouti pour garantir ses intérêts. Il faut savoir que le problème de la piraterie reste d’actualité dans le golfe d’Aden. Des navires chinois ont également été attaqués. Enfin, la présence militaire permanente de la Chine en Afrique lui permettra d’exercer une grande influence sur les pays représentant un intérêt économique pour elle. Pékin adopte une approche diversifiée en la matière: ce pays dispose même d’une chaîne spéciale diffusée dans les pays d’Afrique.»
Début 2017, le total des investissements chinois en Afrique approchait les 1.000 milliards de dollars. Pékin réalise et finance des dizaines de projets à travers le continent. Le projet de voie ferroviaire East Africa Railway, qui reliera plusieurs pays d’Afrique orientale, peut être considéré à juste titre comme la construction du siècle — la Chine y a investi presque 14 milliards de dollars. De plus, Pékin finance la construction d’un grand port de transport et d’un terminal aérien international au Kenya, d’une immense région industrielle en Éthiopie et bien d’autres projets. Le choix de Djibouti pour implanter la première base chinoise à l’étranger signale qu’en injectant énormément de fonds dans le développement du continent africain, la Chine veut désormais assurer leur sécurité.
Le potentiel d’expédition
Et l’armée chinoise a les capacités nécessaires pour remplir cette mission: en dix ans les autorités du pays ont réussi à accélérer le programme de construction de navires et de sous-marins pour leurs forces navales. Une attention particulière a été accordée à la construction de navires pour le transport d’importants contingents militaires sur de longues distances, avec le matériel et l’armement. En particulier, la toute nouvelle plateforme mobile d’expédition MLP 868 Donghaidao (Mobile Landing Plateforme) et le bâtiment de débarquement universel du projet 071 Jinggangshan ont mis le cap sur Djibouti en début de semaine.Le Donghaidao représente un intérêt particulier car hormis la Chine, seuls les USA disposent à ce jour de bâtiments de type MLP. Les Américains ont terminé la construction des premières unités en 2013 — deux ans plus tôt que les Chinois. Le Pentagone classifie les navires de type MLP comme des bases mobiles d’expédition destinées à assurer des opérations de débarquement d’envergure loin de l’infrastructure côtière amie. En fait, le Donghaidao est une unité navale autonome capable de créer sur un littoral ennemi un avant-poste pour le débarquement des forces principales. A cet effet, le bâtiment est doté de grandes soutes, de sa propre flottille de vedettes de débarquement, d’héliports et d’un contingent militaire.
Le Jinggangshan, mis à l’eau en 2010, n’a rien à lui envier. Il est capable de remplir quatre missions différentes à la fois: faire débarquer des unités sur la côte, accueillir des hélicoptères, être un centre de commandement ou encore un navire hôpital. Il peut recevoir à son bord 1.000 soldats, 4 hélicoptères, 4 aéroglisseurs de débarquement et 20 véhicules blindés. Seuls les porte-avions les dépassent en termes de taille dans la flotte chinoise. Bien sûr, les autorités chinoises n’enverront pas de tels géants sillonner les océans sans raison.
«La Chine maîtrise totalement la construction de navires de débarquement, dont les caractéristiques n’ont rien à envier à leurs homologues américains, explique Vassili Kachine de l’Institut d’Extrême-Orient affilié à l’Académie des sciences de Russie. En outre, il a été annoncé en mars que l’armée chinoise comptait augmenter significativement le nombre de fantassins de marine (pour passer de 20.000 à 100.000 hommes). La Chine accorde de plus en plus d’attention à l’usage de ses forces armées pour ce qu’elle appelle la «défense des intérêts étrangers» — des intérêts qui se trouvent très loin de la frontière chinoise. Il s’agit notamment de l’Afrique et du Moyen-Orient. Ils apprennent à remplir des tâches qui concernent, par exemple, l’évacuation de civils depuis un territoire touché par la guerre ou la protection de sites par la participation aux opérations antiterroristes de coalition. L’infanterie de marine chinoise organise régulièrement des exercices. Par exemple, les fantassins de marine ont été projetés dans le désert de Gobi pour s’entraîner dans des conditions climatiques inhabituelles. Tout cela indique que la Chine crée de puissantes forces d’expédition.»
Actuellement, la marine chinoise compte plus de 70 navires de débarquement et de transport de différentes tailles. La plupart d’entre eux sont à même d’effectuer des missions loin des côtes chinoises. Une dizaine de navires sont encore en stade de construction sur les chantiers navals.
Il est évident qu’au vu de l’intensité de la construction militaire chinoise, visant à assurer une présence permanente des forces armées nationales dans les régions du monde éloignées du pays, la Chine ne se limitera certainement pas à une seule base. Des avant-postes et des centres logistiques chinois pourraient à terme faire leur apparition, par exemple, au Tadjikistan, au Pakistan et en Afghanistan — certainement pas les pays les plus paisibles d’Asie centrale et du Sud, mais via lesquels Pékin a tout de même l’intention de faire passer sa Nouvelle route de la soie.D’autant que certains analystes n’écartent pas la possibilité de voir apparaître de nouvelles bases chinoises dans le Pacifique. En particulier, le gouvernement chinois est en négociations depuis 2014 avec les autorités de Papouasie-Nouvelle-Guinée: la présence permanente de l’armée chinoise dans cette région permettrait à Pékin de contrôler une grande partie du sud-ouest du Pacifique et de surveiller les bases américaines situées dans la région.