Quand Merkel défend sa politique migratoire – INTERVIEW

La chancelière allemande a accordé un entretien à nos confrères de Die Welt am SonntagLe Figaro publie des extraits sélectionnés et traduits par notre correspondant à Berlin, Nicolas Barotte, dans le cadre du partenariat LENA.

DIE WELT – Le mot «réfugié» apparaît à la page 56 sur 75 de votre programme électoral. Cherchez vous à cacher le principal thème de votre dernier mandat ?

ANGELA MERKEL – L’ordre d’apparition dans notre programme électoral ne dit rien de l’importance des thèmes. La politique en faveur des réfugiés est évidemment importante et j’en parle systématiquement. Mais si vous cherchez un thème important de mon mandat, qui servirait de fil rouge, alors il est de mon devoir d’insister sur l’économie sociale de marché qui permet dans une époque globalisée d’assurer de bons emplois et d’offrir la prospérité aux gens.

Avez-vous fait des erreurs dans la crise des réfugiés ?

Je reprendrais les mêmes décisions essentielles qu’en 2015. Souvenez-vous qu’à la fin août 2015, déjà près de 400.000 réfugiés étaient arrivés en Allemagne. En août, le ministère de l’Intérieur avait formulé le pronostic que 800.000 réfugiés arriveraient en Allemagne. Finalement, il y en a eu 890.000. Les pronostics étaient très précis. Si vous parlez d’erreur ou d’échecs, alors il doit s’agir du système de Dublin que nous, et moi aussi, avons mis en place dans les années qui ont précédé, alors qu’il laissait des pays comme l’Italie ou la Grèce être dépassés. Durant ces mêmes années, nous n’avons pas prêté assez attention au fait que la guerre civile en Syrie et le terrorisme de Daech en Irak plaçaient des millions de personnes dans des situations effroyables, que les rations de survie dans les camps pour réfugiés au Liban ou en Jordanie étaient réduites et que des enfants là-bas n’avaient pas accès à l’école depuis des années. Les économies de ceux qui avaient fui la Syrie avaient été dépensées et cela avait conduit à une situation d’urgence. Les leçons que nous en avons tirées aujourd’hui sont celles-ci: aider d’abord sur place près des pays d’origine, combattre les causes des migrations aussi bien en ce qui concerne la Syrie et l’Irak que pour les conflits africains.

Referiez-vous les mêmes choses en septembre 2015 et durant les mois qui ont suivi ?

Oui. L’Allemagne a alors agi de façon humaine et juste dans un contexte très difficile. J’en suis convaincue mais je dis en même temps que l’année 2015 ne doit pas se reproduire pour nous comme pour les personnes qui ont fui.

Trois semaines après l’ouverture des frontières…

Il n’y a pas eu d’ouverture de frontières. Les frontières de l’Allemagne étaient ouvertes et nous avons décidé de ne pas les fermer.

Votre gouvernement a organisé un vote des ministres de l’Intérieur de l’UE, pour installer une répartition des réfugiés en Europe. Diriez-vous que c’était une bonne idée? Ou bien aurait-il fallu mieux prendre en compte les opinions des pays de l’Est ?

Tous en Europe doivent accepter que le système de Dublin ne pouvait plus continuer. Il n’est pas possible que l’Italie ou la Grèce ait à tout supporter seulement parce que leur géographie fait que les migrants arrivent par là. C’est pourquoi nous devons répartir de manière solidaire les demandeurs d’asile entre États-membres. Bien sûr, il est possible de faire des différences suivant la situation économique, le taux de chômage ou d’autres facteurs. Refuser n’est pas acceptable et contredit l’esprit européen. Nous le surmonterons et pour cela nous avons besoin de patience et d’endurance. Mais cela fonctionnera.

Au printemps 2016 vous avez critiqué la fermeture de la route des Balkans. Reconnaissez-vous aujourd’hui que cette fermeture a aidé l’Allemagne, et peut-être vous aussi, en réduisant de manière drastique le nombre de migrants?

J’ai déjà dit plusieurs fois que la fermeture de la route des Balkans avait contribué à ce que moins de gens arrivent en Allemagne ou en Autriche, chacun le voit. Mais cela ne pouvait pas être une solution durable. En Grèce, en février 2016, 50.000 personnes ont accosté et sont restées pour beaucoup dans des situations humanitaires difficiles. Cela a changé avec l’accord entre l’UE et la Turquie.

Vous n’étiez pas contre la fermeture de la route des Balkans?

Comme je l’ai dit, j’ai souvent dit qu’ainsi le nombre de réfugiés a diminué en Allemagne. Mais j’ai aussi dit que j’étais contre des mesures nationales unilatérales prises sans associer la Grèce. L’UE était alors en fin de discussion avec la Turquie. Il était important pour moi de ne pas couper la Grèce de l’Europe et de ne pas la laisser seule avec de nombreux réfugiés. Beaucoup moins de migrants sont arrivés dans la zone euro après l’accord avec la Turquie.

Vous passez pour quelqu’un de très rationnel. Mais vos opposants comme vos partisans considèrent qu’en septembre 2015 vous vous êtes laissée guider par les émotions? C’est vrai?

J’espère bien agir comme un être humain avec cœur et raison. Durant tout l’été 2015 j’ai beaucoup réfléchi et j’avais dit en août 2015 au président du conseil européen Donald Tusk que nous avions besoin d’un accord avec la Turquie pour ne pas laisser aux passeurs criminels la mer Égée. Avec ma décision du 4 septembre, j’ai pensé au destin des personnes et en même temps j’ai pensé à la situation globale. Près de 400.000 personnes étaient déjà arrivées en Allemagne en bus ou en train et le ministère de l’Intérieur venait de prévoir l’arrivée de 800.000 personnes. Début septembre, il s’agissait de savoir si nous laissions aussi venir celles pour qui la Hongrie n’affrétait plus de train et qui auraient marché jusqu’en Autriche ou en Allemagne. Il s’agissait d’éviter une catastrophe humanitaire.

Croyez-vous que les réfugiés syriens ou irakiens retourneront chez eux après la guerre?

Pour l’instant, je ne vois pas de situation en Syrie qui permette à ces gens de repartir. Je sais néanmoins que des pays voisins, certains repartent même à Alep. Mais dans l’ensemble, la situation est encore dramatique en Syrie. Nous verrons ce que les gens décideront. Nous soutenons financièrement les retours volontaires. Beaucoup font usage de cette possibilité.

Regrettez-vous que l’AfD ait prospéré sur votre politique migratoire?

Tout le monde n’est pas d’accord avec notre politique migratoire. Je chercherai toujours à convaincre même ceux qui doutent qu’il était juste et qu’il est toujours juste de réagir de manière appropriée à un défi global. On ne peut pas seulement fermer les yeux ou se replier sur soi mais nous devons lutter contre les causes des migrations comme par exemple à travers des partenariats avec des pays africains ou bien l’engagement pour les gens sur place.

Actuellement, l’Europe co-finance les garde-côte libyens qui repoussent les migrants qui veulent rejoindre le continent. Officiellement, votre gouvernement l’a critiqué. Ne critiquez-vous pas ainsi ceux qui, comme pour la route des Balkans, font ce qui est nécessaire même si c’est désagréable?

C’est l’inverse: les Européens forment les garde-côte libyens et les équipent des instruments nécessaires pour faire leur travail. Ils doivent être capables de protéger leurs propres côtes. Dans le même temps, bien sûr, nous considérons qu’il est de la plus haute importance que la garde côtière libyenne adhère au droit international, tant dans ses relations avec les réfugiés et migrants qu’avec les organisations non gouvernementales. En cas de doute à ce sujet, nous enquêterons sur les allégations. J’ai discuté avec le commissaire aux réfugiés Filippo Grandi et avec le directeur de l’Organisation internationale pour l’immigration William Swing pour que les gens reconduits en Libye le soient dans le respect des normes internationales. Il se passe pour la Libye comme la Turquie: nous ne pouvons pas tolérer le commerce des passeurs qui ont la mort de tellement de personnes sur la conscience.

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