Il y a moins de deux ans, les Guatémaltèques exaspérés ont chassé leur président accusé de corruption et ont placé leurs espoirs en Jimmy Morales, un humoriste novice en politique. Celui-ci vient de déclencher une crise majeure en ordonnant l’expulsion du chef d’une mission de l’ONU contre la corruption.
Pendant des mois en 2015, toutes les semaines, des milliers d’habitants ont manifesté, écoeurés par un scandale de corruption et fraude fiscale touchant le plus haut niveau de l’État.
Ce climat de fronde populaire avait précipité la démission puis l’incarcération du président d’alors, Otto Pérez, un ex-général de 66 ans au pouvoir depuis 2012, et l’élection de Jimmy Morales, 48 ans, qui promettait d’éradiquer ces mauvaises pratiques.
Large sourire et charisme naturel, celui qui avait incarné au cinéma le rôle d’un cowboy naïf sur le point de devenir président par accident avait créé la surprise, profitant du vaste mouvement d’exaspération. Son absence d’expérience politique avait été perçue comme un gage d’honnêteté, selon les analystes.
Mais à présent, le Guatemala semble avoir été rattrapé par ses vieux démons après l’ordre donné par Jimmy Morales d’expulser le magistrat colombien Ivan Velasquez Gomez, chef d’une mission des Nations unies contre la corruption au sein de l’État guatémaltèque.
Cet ordre est intervenu deux jours après le lancement d’une procédure devant la Cour suprême par M. Velasquez et la procureure générale du Guatemala, Thelma Aldana, pour lever l’immunité de M. Morales, soupçonné de financement illégal de sa campagne électorale.
«Dans l’intérêt du peuple du Guatemala, du renforcement de l’État de droit et des institutions, je déclare M. Ivan Velasquez Gomez persona non grata. J’ordonne qu’il quitte immédiatement la République du Guatemala», a annoncé le chef de l’État dans une brève vidéo sur les réseaux sociaux.
M. Velasquez aurait, selon M. Morales, «excédé les limites de son mandat en s’immisçant dans des affaires internes qui relèvent uniquement du ressort de l’État du Guatemala, via l’Assemblée nationale».
Le magistrat colombien dirige la Commission internationale contre l’impunité au Guatemala (Cicig), un organisme des Nations unies créé en 2006 pour éradiquer la corruption et les activités mafieuses au sein de l’État.
«Péril sur la stabilité du Guatemala»
Lundi, deux nouveaux recours ont été présentés devant la Cour suprême par des membres de la société civile pour lever l’immunité et poursuivre M. Morales pour abus d’autorité et d’autres délits, considérant l’expulsion illégale.
Le procureur chargé des droits de l’homme, Jordan rodas, a déclaré que le président «laisse ouverte la voie à une situation ingouvernable».
Des dizaines de personnes, indigènes, paysans, étudiants, ont manifesté dans le centre de Guatemala city pour demander la démission de M. Morales.
«Je trouve que c’est une attitude irresponsable, illégale, car toutes les institutions existent grâce à un soutien juridique. Tout ceci met en péril la stabilité du Guatemala», a dénoncé Rigoberta Menchu, la militante indigène prix Nobel de la paix en 1992.
En 2015, la Cicig et le parquet guatémaltèque avaient révélé le scandale de corruption au sein des douanes qui avait entraîné la démission du président de l’époque, Otto Perez, accusé d’être à la tête d’un réseau qui encaissait des pots-de-vin pour fermer les yeux sur des cas de fraudes fiscales.
Lundi, M. Perez, qui est emprisonné, a soutenu la décision du président Morales. «Ca me semble être la décision d’un pays souverain», a-t-il déclaré lors d’une audience.
La décision définitive de la justice sur la levée de l’immunité du chef de l’État actuel est attendue dans les prochains jours. C’est le Congrès qui aura ensuite le dernier mot.
Dimanche également, la plus haute instance judiciaire du pays, la Cour constitutionnelle du Guatemala, a suspendu la décision présidentielle.
«Cette cour accorde la protection provisoire sollicitée et la décision du président de la République est suspendue», a déclaré Francisco de Mata, président de la Cour constitutionnelle.
La crise au sommet de l’État guatémaltèque a également provoqué le limogeage du ministre des Affaires étrangères, Carlos Raul Morales, qui avait refusé d’exiger le départ d’Ivan Velasquez, et la démission de la ministre de la Santé, Lucrecia Hernandez Mack.
Dans un communiqué, le secrétaire général des Nations unies Antonio Guterres s’était dit «choqué» par la décision de M. Morales.