La France entend être «présente dans la phase de paix qui s’ouvre» en Irak. Lors d’un récent déplacement à Bagdad, Florence Parly et Jean-Yves Le Drian ont réitéré leur soutien dans la lutte contre l’État islamique et ont déclaré prêter 430 millions d’Euros à l’Irak. Quels enjeux représentent, explicitement et implicitement, ce prêt?
Tout prêt qu’un État accorde à un autre État est assorti de conditions exprimées publiquement… et d’arrière-pensées politiques ou économiques. Alors que Daech connaît de sérieux revers en Irak, la France commence à vouloir participer à la reconstruction du pays: d’ici la fin de l’année, 430 millions devraient atterrir dans les caisses de l’État irakien, dont le budget est «fortement grevé par la lutte contre les djihadistes et la chute des cours du pétrole», d’après le ministère français des Affaires étrangères.
«Cela peut être une première raison, dynamiser les échanges, le commerce entre deux États et se positionner de façon privilégiée, parce que justement on est un pays qui a aidé: c’est une première hypothèse, parce qu’on sait qu’il y aura un très gros marché de la reconstruction en Irak, si, bien sûr, on arrive à sécuriser la plus grande partie du territoire», analyse de Pierre Berthelot, Enseignant-Chercheur au Centre d’étude et de recherche sur le monde arabe et musulman et directeur de la revue «Orients Stratégiques».Un marché du BTP florissant, pourquoi pas, mais ce n’est pas tout. Il a été plusieurs fois reproché à la France la perte d’influence dans la région, particulièrement sur le dossier syrien. À la dimension économique s’ajoute celle de pouvoir montrer que la France est de retour dans la région.
«La France veut montrer qu’elle est un acteur important de tout ce qui se passe dans la région. Finalement, la critique qui a été faite à la France depuis plusieurs années, c’est d’être marginalisée au Proche-Orient, d’être dans le suivisme par rapport aux Américains, voire aux Russes. À un moment, on ne parlait plus aux Russes, mais Macron semble comprendre que la carte russe n’est plus négligeable».Mais plus de dix ans après l’invasion américaine et la chute de Saddam Hussein, l’Irak figure parmi les dix pays les plus corrompus au monde, notamment d’après l’ONG Transparency International. Comment être sûr que l’argent ne soit pas détourné?
«Dès qu’un pays produit beaucoup de matières premières, et en particulier du pétrole, on sait que la corruption est plus élevée. Effectivement, il y a un risque, en prêtant cet argent, qu’on ne puisse pas par la suite contrôler ce qu’il va devenir. C’est une vraie problématique».
La France souhaite également appuyer le processus de réintégration politique de la minorité sunnite, toute puissante sous Saddam Husseim, et qui maintenant a le sentiment d’être marginalisée. Cela évitera aussi que Daesh ne retrouve un terreau de recrutement.
«Il y a toujours derrière un contrat des enjeux géopolitiques sous-jacents. Donc, la France peut, non pas se faire porte-parole des arabo-sunnites, mais en tout cas essayer de faire comprendre aux Irakiens chiites, que c’est leur intérêt d’intégrer cette minorité.»«Comment redevenir un acteur d’importance? Ça passe par un rôle politique et économique, et éventuellement militaire, car la France a des conseillers et des interventions dans la région. Ce rôle qu’on veut plus important passe aussi par une implication, un soutien économique, financier à l’Irak. C’est une des palettes qu’on peut utiliser pour jouer ce rôle plus influent, plus important dans la région», conclut Pierre Berthelot.