Mikhaïl Saakachvili s’impose en Ukraine

Il fut un temps, après sa défaite à l’élection présidentielle géorgienne et son départ forcé du pays, où Mikheïl Saakachvili traînait son spleen dans les cafés de Brooklyn, à New York. 

« Je suis devenu un type normal », disait au New York Times l’ancien président géorgien, une pointe d’amertume dans la voix. On était alors en 2013, et tout retour en Géorgie était inenvisageable, le nouveau pouvoir ayant lancé contre lui une procédure pour abus de pouvoir aux airs de vendetta judiciaire.

Moins d’un an plus tard, la révolution en Ukraine allait permettre au flamboyant dirigeant de trouver une nouvelle jeunesse. Soutien actif de la révolution de Maïdan, Mikheïl Saakachvili n’allait pas tarder à devenir une figure de la scène politique ukrainienne, après la victoire des révolutionnaires. Figure de proue des jeunes réformateurs, l’ancien président géorgien (2003-2013) allait faire profiter de ses talents la région méridionale d’Odessa. Nommé gouverneur par le président Petro Porochenko en mai 2015, il devait faire de la ville un modèle de modernisme et de transparence, en finir avec sa culture de la corruption. A la même époque, des dizaines de Géorgiens rejoignaient l’Ukraine pour mettre leur savoir-faire au service de ce pays.

L’expérience a tourné court : un an plus tard, le gouverneur a démissionné, dénonçant l’obstruction de Kiev et l’implication de M. Porochenko dans les réseaux de corruption. Il allait désormais devenir opposant, chef d’un petit parti réformateur, brandissant toujours l’étendard de la lutte anticorruption.

Cette nouvelle vie a trouvé à son tour un terme brutal, mercredi 26 juillet, et le caméléon Saakachvili va sans doute devoir retourner à l’errance new-yorkaise. C’est en effet depuis les Etats-Unis, où il est en voyage, que l’ancien président a lu le communiqué du service des migrations ukrainien annonçant la décision du président Porochenko de le déchoir de sa nationalité ukrainienne. M. Saakachvili avait acquis celle-ci au moment de sa nomination à Odessa, recevant son passeport des mains mêmes de M. Porochenko, son ancien camarade d’université à Kiev.

Selon le communiqué, le Géorgien aurait à l’époque fourni dans sa requête des documents qui se seraient avérés faux ou incomplets. Aucun détail n’est donné, mais il aurait omis de mentionner qu’il faisait l’objet de poursuites judiciaires à Tbilissi.

« Promotion personnelle »

Problème : en devenant Ukrainien, le nouveau gouverneur s’était vu privé par les autorités de son pays d’origine de sa nationalité géorgienne. Saakachvili apatride ? La situation n’est pas complètement claire, et l’imbroglio pourrait trouver une issue grâce à la nationalité néérlandaise de son épouse. Mais selon le député ukrainien Sergueï Leschenko, compagnon de route de Mikheïl Saakachvili, celui-ci n’a pour l’heure d’autre choix que de demander l’asile aux Etats-Unis. « S’il tente de revenir en Ukraine, il sera arrêté et probablement extradé vers la Géorgie », assure M. Leschenko.

Pour le député, comme pour la quasi-totalité des observateurs et M. Saakchvili lui-même, la motivation politique de cette décision totalement inattendue ne fait guère de doute. Elle est reconnue à demi-mot par un autre député, Anton Gueraschenko, conseiller du ministre de l’intérieur, qui écrivait mercredi sur Facebook : « Je crois que Mikheïl n’a jamais apprécié sa nationalité ukrainienne. Il a surtout utilisé l’Ukraine pour sa promotion personnelle, dans l’espoir d’un retour en Géorgie. »

Petro Porochenko n’a pour l’heure fait aucun commentaire, mais le président ukrainien, probable candidat à sa réélection en 2019, semble décidé à faire le vide autour de lui, et à éliminer de la scène tout rival qui pourrait lui faire de l’ombre. Evoqué un temps, en 2015, comme un possible premier ministre, Mikheïl Saakachvili était certes devenu le chef de file d’un mouvement marginal, mais il restait une voix forte de la politique ukrainienne, qui plus est doué d’un art consommé de la mise en scène… et des retours improbables.

« Signe de faiblesse »

« On peut aimer ou non Saakachvili, mais il est de notre côté de la barricade civilisationnelle, regrette le député Mustafa Nayyem, un autre réformateur. La décision de le priver de sa nationalité est non seulement stupide, mais elle est aussi un signe de faiblesse qui ne fait pas honneur au président. »

Autre piste d’explication, celle de l’amitié ukraino-géorgienne, consolidée à la faveur de l’opposition des deux pays à leur voisin russe. Le 18 juillet, M. Porochenko était à Tbilissi, officiellement pour discuter de l’ambition commune des deux pays d’intégrer l’OTAN et l’UE. Selon Mikheïl Saakachvili, qui s’est exprimé dans une vidéo publiée sur Facebook, le président ukrainien a surtout tenu une « rencontre secrète » avec le milliardaire Bidzina Ivanichvili, qui tient les rênes du pouvoir géorgien depuis 2012 et a fait de M. Saakachvili son ennemi juré. Dans sa vidéo, l’ancien président assure qu’il fera tout pour revenir en Ukraine.