La France joue la carte du pragmatisme en Turquie

Le ministre français des Affaires étrangères, Jean-Yves Le Drian, entame aujourd’hui une visite diplomatique de deux jours à Ankara, sur l’invitation de son homologue turc Mevlut Cavusoglu.

Un déplacement au cours duquel il s’entretiendra avec le chef de l’Etat turc Recep Tayyip Erdogan ainsi qu’avec le leader de l’opposition, Kemal Kilicdaroglu. Une rencontre diplomatique importante à l’heure où les relations entre la Turquie et ses partenaires européens sont plus que tendues. Les chancelleries de l’Union s’inquiètent en effet des nombreuses atteintes aux droits de l’homme dans le pays depuis la mise en place de l’état d’urgence, au lendemain de la tentative de coup d’Etat contre Erdogan le 15 juillet 2016. Depuis lors, environ 50 000 personnes ont été arrêtées et plus de 100 000 ont été licenciées, suspectées d’être liées au mouvement de l’imam en exil Fethullah Gulen – accusé par Ankara d’être le cerveau du putsch manqué.

Partenaire

Alors que la chancelière allemande Angela Merkel – dont le pays accueille la plus grande diaspora turque au monde avec 3 millions de personnes et entretient d’importants liens économiques avec Ankara – cherche le soutien de ses homologues européens pour mettre un terme aux négociations d’adhésion de la Turquie à l’UE, la France, elle, a voulu faire dans le pragmatisme. En effet, dans une interview à un quotidien grec, le 7 septembre, le président Emmanuel Macron a dit vouloir «éviter les ruptures» avec la République turque, «un partenaire essentiel dans de nombreuses crises que nous affrontons ensemble, je pense au défi migratoire ou à la menace terroriste notamment». Le chef de l’Etat a cependant condamné des «dérives préoccupantes». Une discordance dans le couple franco-allemand largement reprise par les médias turcs.

Ainsi, du côté de la diplomatie française, on semble vouloir garder les canaux de communication bien ouverts avec un partenaire, certes compliqué, mais incontournable dans la région. Au programme des discussions, selon une source diplomatique turque : coopération antiterroriste, développements régionaux, migration, énergie et relations avec l’UE. Et parmi les sujets chauds qui seront abordés : le dossier syrien. Le président Macron a en effet demandé à Jean-Yves Le Drian d’échafauder un «groupe de contact international» capable de trouver des solutions au conflit en Syrie. La Turquie, soutien des opposants modérés à Bachar Al-Assad et garant – avec la Russie et l’Iran, deux alliés du régime syrien – du cessez-le-feu de décembre 2016, est donc un interlocuteur de premier ordre.

Sujet qui fâche

Pragmatisme toujours : alors que les alliés d’Ankara au sein de l’Otan s’inquiètent des alignements stratégiques d’Ankara, qui officialisait mardi l’achat à Moscou de missiles de défense S-400, Paris, elle, croit encore au partenariat franco-turc. Au cours de sa visite, Le Drian devrait ainsi évoquer avec son partenaire l’ambitieux projet – un accord a été trouvé en juillet – de développement d’un système de défense antiaérienne entre des entreprises européennes (dont Thalès et MBDA) et turques.

Impossible cependant d’éviter lors de cette visite diplomatique le sujet qui fâche : le sort du journaliste Loup Bureau, incarcéré depuis plus d’un mois dans le sud-est de la Turquie. Malgré les réguliers appels d’Emmanuel Macron au président Erdogan et la mobilisation de ses proches, la justice turque a rejeté la libération du jeune homme, suspecté «d’appartenance à une organisation terroriste», après que des photos le montrant en compagnie de combattants kurdes syriens des YPG (considérés comme une organisation terroriste par Ankara) ont été trouvées sur lui. La famille de Loup Bureau attend donc plus que quiconque la venue du ministre français en Turquie.

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