Vice-président du Parlement, Ali Motahari assure que la République islamique fera tout pour que l’accord sur le nucléaire iranien perdure.
Son père, l’ayatollah Motahari, était un des idéologues de la République islamique. Député conservateur au Majlis, le parlement iranien, Ali Motahari a rejoint le camp des modérés du président Hassan Rohani en 2016. Désormais vice-président de l’Assemblée, il s’est révélé comme le plus grand pourfendeur des abus du pouvoir judiciaire, notamment en matière de droits de l’homme. Déclarations de Trump, dossier nucléaire, prisonniers politiques ou droits des femmes, Ali Motahari a répondu aux questions du Point.
Ali Motahari : Il existe toujours une probabilité, même si elle est faible, que les actions de monsieur Trump provoquent la fin de l’accord nucléaire, ou du moins de réelles perturbations dans celui-ci. Mais, très clairement, ce que veulent les Américains, c’est pousser l’Iran à ne pas respecter ce texte afin qu’eux-mêmes puissent obtenir un prétexte pour violer l’accord sur le nucléaire. Mais soyez sûr que l’Iran ne tombera pas dans ce piège et ne sera jamais le premier pays à violer le JCPOA (accord sur le nucléaire iranien, NDLR). Nous ferons tout pour que celui-ci puisse perdurer. Ce que nous souhaitons, c’est que les pays de l’Union européenne, et en particulier ceux qui ont conclu l’accord nucléaire avec l’Iran (France, Royaume-Uni et Allemagne), montrent leur indépendance, respectent ce texte et ne suivent pas la voie américaine.
Les déclarations de Trump fragilisent-elles la position du président Rohani ? Ne font-elles pas le jeu des conservateurs iraniens ?
Lorsqu’il s’agit des questions liées à l’intérêt national iranien, réformateurs et conservateurs partagent exactement les mêmes points de vue. Même si les conservateurs iraniens ont émis beaucoup de critiques par rapport à l’accord sur le nucléaire, ils ont tout de même accepté qu’il soit signé, d’autant plus que le texte a été conclu avec le feu vert du Guide de la révolution. Il n’empêche. Même si la probabilité est très faible, dans le cas où les Américains décidaient de violer l’accord, ce seraient eux les premiers perdants, dans la mesure où ils se marginaliseraient au niveau international. Car cela aurait un effet très négatif sur les relations entre les États-Unis et l’Europe. En ce qui nous concerne, il nous faut seulement quelques jours pour revenir à nos capacités nucléaires civiles avant la signature de l’accord, à savoir un enrichissement à des taux de 20 %.
Le retour de sanctions ne pénaliserait-il pas de nouveau grandement l’économie iranienne ?
N’oubliez pas que, dans l’hypothèse où les États-Unis décideraient de violer l’accord sur le nucléaire, la coordination entre les Américains et les Européens en matière de retour des sanctions serait loin d’être aisée. Les États-Unis ne pourront jamais avoir les mêmes facilités, d’autant que l’Iran est totalement sorti de son isolement économique et bancaire de l’époque des sanctions. C’est la raison pour laquelle un retour vers le régime des sanctions tel qu’il existait demeure particulièrement difficile. Surtout qu’un certain nombre de pays européens ont déjà signé des accords ou des protocoles d’accords économiques et commerciaux avec l’Iran. Désormais, leur intérêt n’est pas dans un retour des sanctions, comme le souhaiteraient les États-Unis. En tout état de cause, nous attendons des pays signataires du JCPOA, en particulier la France, qu’ils fassent tout pour préserver ce texte, qui a été un acquis important au niveau international. Et n’oubliez pas qu’à l’intérieur de l’Iran également beaucoup de personnes sont opposées à l’accord nucléaire, et si celui-ci a été conclu et préservé, cela est surtout dû à des politiciens iraniens de tendance modérée. Et il ne faut surtout pas permettre que l’accord soit violé ou disparaisse aussi simplement.
Au niveau intérieur, beaucoup d’électeurs de Rohani ont été déçus par la nomination de peu de réformateurs et d’aucune femme au sein de son nouveau gouvernement. Est-ce également votre cas ?
On ne peut parler de « déception » en ce qui concerne le nouveau gouvernement. Disons que, pour l’instant, le président Rohani a décidé de réduire au maximum les possibilités de tension politique (avec les autres pôles du pouvoir iranien, NDLR) afin de tenter de résoudre le plus rapidement possible les problématiques économiques et surtout d’aller le plus rapidement possible vers le développement. Il n’empêche qu’en effet on peut critiquer le président Rohani en estimant qu’il n’a pas tenu toutes les promesses qu’il avait faites en ce qui concerne la composition de son nouveau gouvernement.
Beaucoup de jeunes Iraniens qui ont voté Rohani souhaitaient des avancées en matière de droits de l’homme lors de ce second mandat. Ne craignez-vous pas que leur espoir soit déçu ?
Non, il n’est pas encore trop tard. Il nous faut attendre de voir le résultat de l’action de ce nouveau gouvernement. Le président Rohani a toujours insisté sur l’importance de la question des droits de l’homme, mais également sur celle des libertés publiques, en particulier de la liberté d’expression. Je suis certain qu’il va totalement respecter ses engagements à ce sujet. On ne peut porter un jugement et penser que le président Rohani ne respectera pas ses promesses en se focalisant uniquement sur la composition du nouveau gouvernement. Car ce qui est le plus important, c’est la volonté du président lui-même. Et il est très sensible sur ces questions et demeure vraiment engagé pour les faire avancer.
Vous êtes l’un des rares politiciens iraniens à critiquer l’assignation à résidence depuis sept ans des opposants Mir Hossein Moussavi et Mehdi Karoubi, leaders du mouvement vert de contestation de 2009. Ce dernier a effectué récemment une grève de la faim pour protester contre ses conditions de détention. Avez-vous obtenu des réponses ?
Les derniers événements n’ont pas été sans résultat. Prenez l’exemple des demandes de monsieur Karoubi qui souhaitait que les agents sortent de son domicile (ils demeurent chez lui 24 heures sur 24, NDLR). Elles ont été acceptées et cela montre que le gouvernement a tenu ses promesses. Monsieur Karoubi a également demandé d’être jugé en public, en présence des médias. Là aussi, le gouvernement lui a fait des promesses. En outre, en ce qui concerne la fin de leur assignation à résidence, il est nécessaire de rappeler que la question a été évoquée lors d’une session du Conseil suprême de sécurité nationale (plus important organe politique en Iran, NDLR). Ses membres se sont mis d’accord sur le fait qu’il était important de trouver une solution dans cette affaire. Et nous avons l’espoir que cette question soit rapidement mise à l’ordre du jour du Conseil suprême de sécurité nationale et que nous puissions trouver une solution.
Que signifie trouver une solution ? Obtenir la libération des deux opposants ou leur condamnation ?
Que la décision soit prise de les libérer, car cela fait tout de même sept ans qu’ils sont assignés à résidence, ou que soit décidé un jugement public.
Pourquoi, d’après vous, cette question est-elle toujours aussi sensible dans certains pôles du pouvoir iranien, sept ans après ?
La situation est très différente aujourd’hui de celle en vigueur il y a un certain nombre d’années. Par exemple, beaucoup de personnes qui insistaient sur la poursuite de l’assignation à résidence sont aujourd’hui arrivées à la conclusion que la poursuite de celle-ci n’est plus dans l’intérêt national iranien. Il y a des chances que la question soit résolue. De toute façon, même d’un point de vue purement logique, si ces deux personnes ont commis des délits ou des fautes, on peut considérer qu’avec sept ans d’assignation à résidence ils ont purgé leur peine. Et, de toute manière, s’ils ont commis des délits, il faut aussi prendre en compte ceux commis par l’autre camp (lors des manifestations de 2009, où au moins 150 Iraniens ont été tués).
Des Iraniennes ont récemment lancé un mouvement pour assister à des matches de football masculins, ce que ne leur interdit pas la loi. Or elles se sont vu refuser l’entrée du stade lors de la rencontre Iran-Syrie, alors que les supportrices syriennes y étaient autorisées. Comment expliquez-vous ce paradoxe ?
Il est nécessaire de rappeler qu’il existe une procédure en Iran selon laquelle, lors d’un match avec des équipes étrangères, les ressortissants de ces pays, hommes mais aussi femmes, peuvent avoir un libre accès au stade. Cela a toujours existé, il n’y a rien de nouveau. En ce qui concerne la présence des femmes iraniennes dans les stades, il faut savoir qu’un certain nombre de grands religieux iraniens estiment que cela peut poser problème dans la mesure où, dans la religion, une femme n’est pas autorisée à regarder le corps dénudé d’un homme. J’entends par là tout ce qui dépasse de la tête et des mains. En ce qui concerne cet aspect religieux, le problème ne se pose pas vraiment pour les matches de football dans la mesure où le corps des hommes est couvert. Mais il existe un second problème, celui de l’atmosphère globale dans les stades vis-à-vis des femmes (qui peuvent être victimes d’insultes de la part des supporteurs masculins, NDLR). Or cette question aussi peut être résolue. Nous pouvons parfaitement imaginer un emplacement spécifique pour les femmes et des entrées et sorties qui soient séparées.
De la même manière, on observe de plus en plus, dans les grandes villes iraniennes, des foulards qui tombent et disparaissent même parfois de la tête des Iraniennes dans leur véhicule. La loi peut-elle s’assouplir sur la question du voile en Iran ?
D’une manière globale, la situation du voile islamique est très satisfaisante en Iran. Passons outre quelques cas totalement anecdotiques ou marginaux, que vous citez ; d’une manière générale, le voile islamique est le mode vestimentaire qui a été choisi par l’ensemble des femmes iraniennes. Par exemple, si vous vous rendez dans des endroits éloignés, au milieu de routes où il n’y a strictement aucune surveillance, les femmes portent le voile. Cela dit, aujourd’hui, en Iran, vous ne rencontrez plus de restriction particulière sur cette question. En revanche, nous avons beaucoup de critiques à formuler sur la nudité qui existe en Europe. Nous pensons que le poids de l’ensemble de la publicité et de la propagande pousse les femmes ici à aller dans le sens de la nudité. Or, si vous regardez l’Europe d’il y a 70 ou 80 ans, la situation était bien différente et les femmes étaient plus couvertes. Si on enlevait cette pression de la publicité, alors nous assisterions automatiquement en Europe à un retour en arrière et les femmes opteraient pour un mode vestimentaire beaucoup plus couvert.