Les autorités du Kurdistan irakien prévoient d’organiser lundi un référendum d’indépendance au moment où la région autonome traverse la pire crise économique de sa jeune histoire.
« Le choc est sévère. Le gouvernement autonome fait face à une baisse des revenus qui se traduit par un report des investissements, un retard dans les paiements, notamment les salaires des fonctionnaires, le recours à l’emprunt domestique auprès de compagnies privées et étrangères, des banques ainsi que de l’emprunt extérieur« , souligne un récent rapport de la Banque mondiale (BM).
« La crise budgétaire (…) a un effet négatif significatif sur la croissance économique« , poursuit la BM.
Erbil, ville longtemps assoupie, se transfigurait avec la construction de tours, de bâtiments cossus et de centres commerciaux.
Mais ce bel édifice s’est effondré en 2014 avec la chute des prix du pétrole, l’offensive du groupe jihadiste Etat islamique (EI), l’arrivée de plus d’un million de déplacés et de réfugiés syriens et la rupture avec Bagdad, qui a décidé de ne plus contribuer au budget de la région, la privant de 80% de ses recettes.
Face à ce manque à gagner de 12 milliards de dollars, les salaires ont été écornés.
Selon une étude de 2015 de la BM, « le déficit budgétaire et l’afflux de déplacés ont eu un impact négatif sur l’économie de la région. La croissance a connu une baisse de 5% entre 2013 et 2014 tandis que le taux de pauvreté est passé de 3,5 % à 8,1 %.
Un haut responsable du gouvernement du Kurdistan a affirmé à l’AFP que fin 2015, les fonctionnaires ont vu leur salaire diminuer de 60% et, depuis deux mois, les 1,2 million de fonctionnaires et retraités n’ont touché aucune rémunération.
Le Kurdistan produit en moyenne 600.000 barils de pétrole par jour, dont 550.000 b/j sont exportés.
Cette production inclut environ 250.000 b/j des champs de Kirkouk dont les Kurdes se sont emparés quand l’EI a pris le contrôle de Mossoul.
Criblée de dettes
Pour Fathi al-Moudaress, conseiller du gouvernement de la région autonome, « la crise provient du fait que (le Kurdistan) a fait des revenus pétroliers sa source principale de revenus. Après deux ans de crise, le gouvernement de la région autonome a adopté des politiques d’austérité et de diversification des revenus, notamment via le tourisme, l’agriculture et l’industrie« .
Mais pour Ruba Husari, experte sur le pétrole irakien, la crise est bien plus grave que ne le prétend le gouvernement du Kurdistan.
« Les coffres du Kurdistan sont vides et la région est criblée de dettes« , explique-t-elle à l’AFP.
Son pétrole est vendu à l’avance contre des prêts auprès des traders comme Vitol, Trafigura, Glencore, Petraco, qui prélèvent les barils comme paiement de dettes.
Le Kurdistan a ainsi emprunté plus de 3 milliards de dollars auprès de ces compagnies au cours des trois dernières années.
Récemment, il a emprunté 1 milliard de dollars auprès de la compagnie russe Rosneft pour payer des dommages à Pearl Petroleum, un consortium dominé par deux compagnies pétrolières émiraties avec qui le Kurdistan est en conflit. Rosneft sera aussi payé en barils de pétrole.
En outre, à cause de la baisse des cours du pétrole, le Kurdistan n’arrive pas à payer ses investisseurs qui développent des champs comme le groupe norvégien DNO ou l’anglo-turc Genel Energy et les dettes s’accumulent.
« Aussi, le gouvernement autonome du Kurdistan a conclu un nouvel accord avec eux en août en augmentant leurs profits et en élargissant leurs champs contre l’annulation des dettes« , souligne Ruba Husari.
Aussi, pour elle, « le référendum orchestré par le président du Kurdistan, Massoud Barzani, est une fuite en avant pour rester au pouvoir alors que la situation économique est catastrophique« .
« Un vote positif en faveur de l’indépendance déclenchera des batailles sur plusieurs fronts, notamment dans les territoires disputés et il s’en servira pour rester au pouvoir« , dit-elle.