Qualifiés, bon marché, peu protégés par la loi, les ouvriers serbes ont tout pour plaire aux multinationales étrangères. Mais la grogne monte parmi les travailleurs du plus grand pays des Balkans, candidat à l’Union européenne.
La grève des ouvriers de Fiat fin juin a marqué les esprits. Les 2.400 ouvriers de l’usine de Kragujevac dans le centre du pays demandaient une hausse de leur salaire de plus de 18%. Une demande qui peut sembler exorbitante pour qui ignore que cela aurait fait passer leur traitement à… 370 euros mensuels. Soit trente euros en dessous du salaire moyen de ce pays, qui négocie son adhésion à l’Union européenne.
Ce fut la première crise qu’eut à gérer la Première ministre Ana Brnabic, une jeune technocrate de 41 ans. Elle l’a gérée en prévenant les syndicats que Fiat ne négocierait pas tant que la grève continuerait. De son côté, le constructeur italien choisissait le silence, laissant se répandre les rumeurs de départ du pays où il est installé depuis les années 1950.
Une perspective inquiétante pour un pays où le taux de chômage avoisine les 15% et où les exportations de Fiat (382,2 millions d’euros au premier quadrimestre 2017) pèsent pour 3% du PIB, selon l’institut national des statistiques. L’été passé, les négociations ont abouti à un accord sur une augmentation des salaires indexée sur le taux d’inflation projeté, soit 4,5% pour 2018.
Malgré cette issue, Ranka Savic, une dirigeante du syndicat ASNS, ne décolère pas: l’Etat « laisse les multinationales faire ce qu’elles veulent, pour pouvoir se targuer d’un taux d’embauche historique », dit cette dirigeante d’un des principaux syndicats serbes.
Pour les attirer, les investisseurs étrangers se voient offrir aides à l’emploi et exonérations fiscales. Sollicité, le Conseil des investisseurs étrangers en Serbie s’est refusé à commenter.
Un ouvrier se pend
Emblématique, la grève de Fiat ne fut pas le seul signe de la grogne qui monte. Salaires payés en retard, charges sociales « oubliées », heures supplémentaires non rémunérées, conditions de travail désastreuses: la presse rapporte régulièrement de tels abus.
Le groupe sud-coréen Yura, spécialisé dans l’équipement électronique automobile, avait ainsi été au centre d’une tempête médiatique en 2016, avec des récits d’abus, de harcèlement, ou de refus de laisser les ouvriers se rendre aux toilettes dans l’usine de Leskovac (sud). L’histoire d’une mère célibataire atteinte d’une tumeur, dont le contrat n’avait pas été prolongé, avait suscité une vive émotion en Serbie.
Yura, sollicitée par l’AFP par courriel, n’a pas réagi. De son côté, l’inspection du travail n’avait pas trouvé trace de « comportement contraire aux règles ».
Mais les ouvriers « ont trop peur pour confirmer publiquement » ces accusations, affirme la rédactrice en chef de Nova Ekonomija, Biljana Stepanovic. Pour Ranka Savic, les ouvriers craignent « de perdre le peu de salaire qu’ils gagnent » dans un pays où l’assurance chômage est ridiculement faible. Notamment dans le sud déshérité du pays.
Les 300 ouvriers de l’usine de wagons de Smederevska Palanka (80 km au sud de Belgrade) n’ont plus rien à perdre. Ils ne sont plus payés depuis le début de l’année et sont en grève depuis le printemps. Ils viennent d’organiser une manifestation à Belgrade pour supplier le gouvernement de les aider. En mars, un de leurs collègues, Dragan Mladenovic, 56 ans, s’est pendu dans l’usine.
Calculs politiques
Après avoir acquis Gosa en 2007, ZOS l’a revendu à une société chypriote en avril 2017. Interrogée, la compagnie slovaque a indiqué qu’elle ne répondrait pas aux questions sur Gosa, qui ne lui appartient plus. Quant à la société chypriote, ses locaux se résument à un simple bureau à Nicosie, où on ne commente pas plus.
« Au début c’était correct, mais d’année en année nos salaires ont diminué, jusqu’au strict minimum, et nos obligations se sont multipliées (…) Au final, ils ont cessé de payer nos salaires », raconte l’ouvrier Dobrica Stevanovic, 60 ans, qui ne peut prendre sa retraite, les charges patronales n’ayant pas été payées par ZOS Tranava, selon les syndicats.
Ces ouvriers de Gosa « sont le symbole d’une classe ouvrière écrasée », a déclaré Bosko Obradovic, leader du parti de droite traditionnalisten, Dveri. « Le problème c’est l’Etat qui laisse faire ».
« Si le président » Aleksandar Vucic « vante lui même une main d’oeuvre bon marché, pourquoi l’investisseur ferait-il un effort ? Les gens sont à bout. Ils acceptent ce qu’on leur propose », regrette Biljana Stepanovic.