Libéraux, Verts, populistes de droite et gauche radicale ont beaucoup fait parler d’eux durant la fin de campagne pour les élections allemandes. Rencontre avec des militants qui tentent de profiter du non-duel entre Angela Merkel et Martin Schulz.
Le stand de la CDU, le parti de la chancelière allemande sortante Angela Merkel, a été installé juste devant l’Apple Store de Cologne. Si l’emplacement est suffisament bien pour le roi incontesté de la tech, ce sera suffisament bien pour le roi de la politique allemande à moins de 24 heures des éléctions générales allemandes.
La scène se déroule dans la Shildergasse, un petit paradis pour accros du shopping en plein coeur du quartier touristique de la 4e plus grande ville allemande et reine incontestée du bassin de la Ruhr, l’un des hauts lieux du “miracle économique allemand”.
Bataille de ballons
D’habitude, les badauds profitent du samedi pour faire du lèche-vitrine en écoutant les musiciens qui se succèdent tous les 50 mètres. Une règle municipale veut même qu’un groupe ne peut pas rester à un endroit plus de 30 minutes, tant les places sont convoitées. Mais ce samedi, les grattes-guitares ne sont pas les seuls à donner de la voix pour attirer l’attention des passants.
Les candidats engagés dans la campagne éléctorale ont sorti le grand jeu. C’est leur dernière chance de convaincre les indécis. On s’active à distribuer des stylos et des ballons aux couleurs des partis. Rouge pour la SPD (sociaux-démocrates de centre gauche) et Die Linke (gauche radicale), jaune pour le FDP (libéraux), vert pour les Grünen/Bundniss90 (les Verts) et bleu pour la CDU. “Le nombre de ballons d’une couleur qu’on voit par ici est un indicateur comme un autre de la popularité d’un mouvement”, assure un militant de Die Linke.
Au stand de la CDU, comme à celui de la SPD, il n’y a pas foule. A croire que ces deux grandes familles politiques ne font plus recette. Mais l’explication est, en fait, tout autre. “Tout le monde sait, sauf coup de théâtre, que la CDU arrivera en tête, et la SPD en deuxième position, loin derrière”, explique Katharina Dröge, l’une des candidates des Grünen à Cologne.
La dernière ligne droite de l’élection appartient ainsi aux “petits partis”, ceux qui veulent arriver troisième. “Au début de la campagne, c’était difficile d’intéresser les gens, ils n’en avaient que pour Angela Merkel et Martin Schulz (le candidat du SPD), mais depuis deux semaines, de plus en plus de monde vient nous voir”, reconnaît Katharina Dröge.
Ils sont quatre à pouvoir prétendre à la troisième marche du podium : le FDP, les Grünen, Die Linke et le parti anti-immigrés de l’Alternative für Deutschland (AfD). Ils sont tous à la Shildergasse… sauf l’AfD. “Personne ne sait où leurs militants font campagne”, s’exclame Gerd Kaspar, porte-parole de la FDP à Cologne. Contacté par France 24, le mouvement de droite populiste n’a pas donné suite. L’AfD est pourtant en bonne position pour devenir troisième. Créditée de 10 % des intentions de vote dimanche, elle pourrait faire plus. “Lors des enquêtes d’opinion, les gens qui penchent pour l’AfD n’osent pas toujours le dire, alors les instituts de sondage ont tendance à sous-estimer leur poids électoral réel”, note Reimut Zohlnhoefer, un politologue contacté par France 24.
Faire barrage à l’AfD
Faire barrage à l’AfD est devenu l’un des moteurs de ce combat à quatre. “C’est l’un de nos arguments lorsque des indécis viennent à notre stand”, reconnaît Gerd Kaspar. Le calcul électoral est clair : voter pour l’un des deux grands partis ne va pas aider à départager les quatre autres, donc le FDP, les Grünen et Die Linke en appelle à la fibre démocratique de ceux qui hésitent encore. “Il faut bien comprendre que ce qui est en jeu c’est l’entrée au Parlement, pour la première fois, d’un parti dont certains membres sont des quasi-nazis”, affirme Matthias W. Birkwald, l’un des candidats de Die Linke à Cologne.
Mais l’intérêt des électeurs pour les petits partis dépassent la question du sort de l’AfD. Ils viennent aussi chercher des idées et propositions nouvelles. “Le seul argument de campagne de la CDU, c’est Merkel, et Martin Schulz a échoué à démontrer qu’il avait quelque chose de différent à proposer, ce qui fait qu’il n’y avait pas de vrais débat d’idées jusqu’à ce qu’on s’intéresse à nous”, remarque Gerd Kaspar. Le politologue Reimut Zohlnhoefer confirme : “certaines questions importantes pour les électeurs comme celle des réfugiés sont passées complètement à la trappe des débats entre les deux grands partis”.
“On pourrait croire que les électeurs se sont désintéressés d’une élection jouée d’avance, mais c’est faux, on a beaucoup de questions sur les retraites, les inégalités de revenus ou les questions de logement”, assure Matthias W. Birkwald, le candidat de Die Linke. La FDP s’est assurée de mettre autant de jeunes au mètre carré que possible sur son stand et ça marche : “on vient nous parler modernité, de la numérisation de l’économie”, se réjouit Gerd Kaspar. Il vient de dialoguer avec un jeune qui avait des idées de start-up plein la tête… et voulait aussi savoir ce que l’AfD avait prévu pour les cyclistes.
Le match pour la troisième place a également un fort enjeu institutionnel. Celui qui le remportera pourra, par exemple, présider la Commission du budget au Parlement et aura le droit de prendre la parole en premier lors des questions au gouvernement. Il y a aussi la question de la coalition gouvernementale. Après l’élection, l’Allemagne pourrait devenir noir (CDU)-jaune ou même noir-vert. Parce que les petits partis en sont convaincus : le SPD n’a plus intérêt à gouverner avec Angela Merkel et a besoin d’une cure d’opposition.