En a tant reproché à son prédécesseur François Hollande de ne pas avoir su rallumer la flamme qu’Emmanuel Macron y a mis toute sa fougue.
Le discours qu’il a prononcé à la Sorbonne n’a manqué ni d’ambition, ni de souffle, ni de pertinence. Proposant une « refondation de l’Union européenne », le président français a invoqué les mânes des pères fondateurs et tendu la main à l’Allemagne en proposant l’adoption d’un nouveau « traité de l’Elysée » unifiant le marché des affaires de part et d’autre du Rhin d’ici à 2024.
On ne pourra pas dire que ce chevalier n’aura pas tout tenté pour réveiller la belle endormie. Sur tous les sujets – création d’un budget commun, contrôle parlementaire sur la zone euro, institution d’une taxe sur les transactions financières, mise en œuvre d’une défense commune, réforme de la politique agricole, imposition sur le carbone pour la transition énergétique, harmonisation sociale et fiscale, office européen des migrations, partenariat avec l’Afrique… –, ses propositions paraissent à la fois follement ambitieuses, au regard de la paralysie dont souffre l’Union, et parfaitement sensées, au regard des défis planétaires auxquels il faudra bien faire face.
Contre les « passions tristes »
Dans son impeccable boîte à outils, le président privilégie les projets pédagogiques susceptibles de créer un esprit commun. L’Europe selon Macron doit d’abord se vivre dans un « système secondaire européen » qui permettrait un enseignement bilingue généralisé et l’épanouissement d’une nouvelle génération de citoyens européens. S’il n’est qu’une mesure à adopter, c’est bien celle-ci.
« Soyez réalistes, demandez l’impossible ! », dit en substance Macron à ses homologues et partenaires. Et surtout « agissez ! » Europe à plusieurs vitesses, coopérations renforcées, nouveaux traités… Selon lui, peu importe le chemin emprunté, pourvu que les nations frileuses sortent de leurs coquilles. Ce volontarisme, qui est sa marque personnelle, tranche avec le scepticisme grandissant des opinions, l’apathie de la plupart des dirigeants voire l’hostilité de certains pouvoirs démagogiques. Macron s’élève contre » les passions tristes de l’Europe ». Il réitère son avertissement à la Pologne et la Hongrie : en Europe, les libertés civiles et la démocratie ne sont pas optionnelles.
Un Européen démonstratif
Quel peut-être l’effet de ce discours refondateur ? Il intervient après des législatives allemandes marquées par un recul historique des partis pro-européens et une inquiétante ascension du parti nationaliste et populiste AfD. L’Europe démocrate et progressiste en frémit déjà.
Après le Brexit britannique, c’est la première puissance économique du continent qui est frappée par la lame de fond identitaire. La chancelière Angela Merkel, dont Emmanuel Macron attendait un renfort, doit rebâtir une coalition de gouvernement. Les tractations prendront bien deux mois. Merkel devra trouver un compromis entre des écologistes volontiers fédéralistes et des libéraux hostiles à toute intégration budgétaire…
Sous un ciel plombé, Macron, européen démonstratif, apparaît plus que jamais comme une exception. Tous les espoirs des unionistes et des fédéralistes semblent désormais reposer sur ses épaules. C’est à la fois un immense risque et une occasion unique. Si les 28 ne parviennent plus à se parler, la voix singulière du dernier des europhiles pourrait provoquer un sursaut chez certains. Le compte à rebours final est déclenché. Les Européens, en commençant par ceux qui craignent tellement de perdre leur autonomie et leur identité dans la mondialisation, n’ont pas d’autre destin que de s’unir. Seuls ils ne sont rien. Ensemble, ils peuvent peser encore. Macron les en abjure :
« Quelles que soient nos difficultés, quels que soient les soubresauts, nous n’avons qu’une responsabilité, celle à laquelle notre jeunesse nous oblige, celle pour les générations qui viennent, celle de gagner leur gratitude sinon nous mériterons leur mépris. J’ai choisi. »
Macron sera-t-il Don Quichotte ou Charles Quint ? S’il est un de ceux qui cessent d’attaquer des moulins à vent pour bâtir des ponts entre les peuples européens, son adresse de la Sorbonne, déjà saluée à travers le continent, pourrait entrer dans l’histoire comme le discours de Robert Schumann du 9 mai 1950 : « L’Europe ne se fera pas d’un coup, ni dans une construction d’ensemble : elle se fera par des réalisations concrètes créant d’abord une solidarité de fait », disait alors le père de la Communauté européenne du charbon et de l’acier. L’esprit des constructeurs, en tout cas, n’a pas changé.