Les violences policières de dimanche constituent un grave échec de Rajoy. Mais la maladresse du gouvernement catalan pourrait lui offrir une planche de salut, explique une politologue catalane.
Le choc frontal a eu lieu. Et ses conséquences sont difficiles à cerner. Après une journée marquée par des violences policières à l’occasion du scrutin contesté sur l’indépendance de la Catalogne, le chef du gouvernement régional a annoncé vouloir enclencher le processus de divorce avec Madrid.
Pour L’Express, la politologue catalane Gemma Ubasart, professeure de sciences politiques à l’université de Gérone, ancienne membre de la direction de Podemos (gauche), revient sur la crise actuelle, l’une des pires depuis la fin du franquisme.
Quel bilan tirez-vous de cette folle journée en Catalogne?
Gemma Ubasart: Après des mois de focalisation sur le droit ou non des Catalans de s’exprimer par les urnes, le fait de savoir si le scrutin sur l’indépendance se tiendrait ou pas, on a changé de paradigme, dimanche. La journée du 1er octobre a été une remise en cause de la démocratie espagnole, des droits fondamentaux: le droit de rassemblement, le droit de manifester, la liberté d’expression, le principe de proportionnalité. En conséquence, les manifestations en faveur du droit de vote se sont transformées en mobilisation contre la politique répressive du parti populaire [PP, au pouvoir, droite] de Mariano Rajoy, et contre une gestion de la crise catalane seulement par des voies judiciaire et policière, qui souffle sur les braises de l’anticatalanisme.
Au cours de la journée, dans la rue et dans les bureaux de vote improvisés, des citoyens catalans qui n’étaient pas d’accord avec la voie unilatérale choisie par le gouvernement indépendantiste au pouvoir en Catalogne sont venus se joindre aux partisans de l’indépendance. Ils étaient révoltés par la réaction brutale des autorités. Le spectacle des violences policières a d’ailleurs donné lieu à des manifestations de solidarité avec la Catalogne dans plusieurs villes d’Espagne.
Comment expliquer la rigidité de Mariano Rajoy sur la question? Agit-il de la sorte par électoralisme?
Par conservatisme, en tout cas. Le parti populaire s’appuie sur un socle de sept millions d’électeurs indéfectibles. La crise économique, la multiplication des scandales de corruption qui secouent le parti populaire au pouvoir ne les ont pas effrayés. Rajoy a peut-être même cru qu’alimenter la « catalanophobie » pourrait resserrer les rangs derrière sa formation, dotée, depuis le dernier scrutin de 2016, d’une majorité relative.
La stratégie du PP semble pourtant à bout de souffle et le vote conservateur fuit vers la jeune formation de droite Ciudadanos, dont le rejet de la corruption et du particularisme catalan sont les principaux moteurs.
L’approfondissement de la crise en Catalogne risque de fragiliser encore un peu plus la position de Mariano Rajoy. Faute de majorité, il a besoin de l’appui du parti nationaliste basque [PNV, droite]. Mais au vu des événements de ces dernières semaines en Catalogne, celui-ci a annoncé qu’il ne voterait pas le budget 2018. Le locataire de la Moncloa a la possibilité de le proroger, mais cela l’affaiblit politiquement.
Comment peut réagir l’opinion espagnole face à cette montée des tensions?
L’un des principaux arguments des partisans de l’indépendance est de dire que l’Espagne est irréformable, et qu’il faut donc que la Catalogne fasse sa route seule. C’était peut-être vrai il y a quelques années. Aujourd’hui, c’est faux. Les derniers sondages montrent que la majorité des jeunes estiment légitime une consultation des Catalans par référendum. En cinq ans, la population espagnole a changé, surtout la population urbaine. Aujourd’hui, 90 députés du Congrès espagnol, ceux d’Unidos Podemos, sont d’accord avec le droit des Catalans à se prononcer dans le cadre d’un référendum négocié et légal.
Le discours de Mariano Rajoy, dimanche soir, était-il à la hauteur de l’enjeu? Il a annoncé convoquer les députés : que peut-on en attendre?
Son texte paraissait avoir été écrit il y a une semaine, comme s’il n’avait pas pris en compte les événements de la journée. Il a nié l’existence d’un problème de fond, et n’a pas concédé la moindre mise en cause de sa politique. Il n’a pas manifesté la volonté de dialoguer. Et il est poussé à la surenchère par Ciudadanos.
L’une de ses options pourrait être de convoquer des élections générales pour rebattre les cartes et regagner de la légitimité. Attiser le sentiment anti-catalan présent dans une partie de la population espagnole lui permettrait-il d’atteindre ce but? On a l’impression que lui même n’en n’est pas si sûr.
Le gouvernement catalan a annoncé dimanche soir vouloir enclencher la déclaration unilatérale d’indépendance en vertu des 90 % de « oui » obtenus selon lui au référendum. Est-ce une erreur politique du président catalan Carles Puigdemont ?
Oui, complètement. Dans la journée d’hier, les violences policières ont renforcé la cohésion en Catalogne bien au-delà des secteurs indépendantistes. Mais le choix de suivre sa feuille de route indépendantiste à l’issue d’un scrutin dénué de toutes les garanties de fiabilité, alors que moins de la moitié des électeurs se sont déplacés, lui fait perdre cet avantage. Il renvoie la balle dans le camp de Rajoy. Le govern n’a non seulement aucune chance que son choix soit validé à l’international, mais il risque perdre tout crédit, à l’extérieur comme en Catalogne.