La République en marche se montre solidaire des propos, repris hors contexte selon eux, du chef de l’Etat en Corrèze. Mais quelques inquiétudes affleurent.
Quand Aurore Bergé reçoit mercredi les premiers SMS de journalistes qui lui demandent de réagir à la polémique sur « le bordel », elle se dit « interpellée » par les propos rapportés d’Emmanuel Macron en Corrèze. « Mais quand on voit la vidéo, on comprend autre chose », assure la porte-parole du groupe La République en marche (LREM) à l’Assemblée nationale. S’il y a polémique, c’est que les termes choisis par le chef de l’Etat auraient été repris hors contexte.Un argument mis en avant également par le porte-parole de l’Elysée Bruno Roger-Petit.
En fait de « responsabilité de tous les acteurs », le chef de l’Etat a répondu au président (PS) de la région Nouvelle Aquitaine, qui évoquait la fonderie Constellium d’Ussel qui peine à embaucher, que « certains, au lieu de foutre le bordel, feraient mieux d’aller regarder s’ils peuvent pas avoir des postes ». « Il y en a qui ont les qualifications pour le faire, et ce n’est pas loin de chez eux », a-t-il ajouté.
« Le message, c’est qu’il ne sert à rien de gueuler »
« Il faut relire ses propos à l’aune de sa visite la veille chez Whirlpool d’Amiens où il avait redit sa confiance dans la capacité des salariés à trouver une solution de reprise », complète Arnaud Leroy, membre de la direction collégiale par intérim de LREM. Selon lui, le message du président, « c’est qu’il ne sert à rien de gueuler et qu’il faut apprendre à se mettre autour de la table ». « Les journalistes ne retiennent que le mot ‘bordel’. Mais c’est sorti de son contexte. » En matière de contexte, LREM oublie de préciser qu’Ussel se situe quand même à 142 kilomètres de La Souterraine, la ville où l’usine GM&S sera reprise partiellement.
Quitte à brouiller l’argument du propos sorti de son contexte, le porte-parole du gouvernement Christophe Castaner s’est demandé, au sujet du « bordel » provoqué par les manifestants, s’il « n’y a pas de nombreux Français qui pensent cela ». C’est qu’il est difficile de croire que le président de la République n’ait pas conscience que la séquence, filmée et enregistrée par des journalistes accrédités, ne tournera pas en boucle dans les médias et fera le miel des réseaux sociaux. Avec un risque: celui de parasiter le message initial du déplacement, censé être sur l’apprentissage et la formation. « Moi, j’apprécie sa franchise et sa façon de secouer le cocotier. Mais comme on est dans le règne de la petite phrase, personne ne va essayer de comprendre ce qu’il a voulu dire. Donc clairement, la séquence d’hier est niquée », tranche en off un permanent de LREM. Le parti va désormais répéter « pendant des jours et des jours » le plan d’apprentissage et de formation du gouvernement qu’Emmanuel Macron était venu présenter mercredi en Corrèze.
« Sarkozy aime le conflit. Macron, lui, ne le recherche pas »
« Bien sûr que le propos peut être perçu comme condescendant. Mais il ne faut pas être dupe de l’instrumentalisation qui en est faite par les opposants », complète cette source chez LREM. Alors bien sûr, « Emmanuel Macron leur donne là du grain à moudre » mais « même sans cela, ils étaient déjà en boucle sur le ‘président des riches' ». Une image que, justement, l’exécutif s’efforce à détricoter. Le déplacement en Corrèze était d’ailleurs l’un des temps fort de cette séquence sociale, ouverte par le déplacement à Amiens la veille.
Selon ce collaborateur LREM, plus qu’une stratégie de communication réfléchie, les écarts de langage successifs du président de la République s’expliqueraient par sa conviction que « ne pas nommer clairement les choses participe à ne pas régler les problèmes ». « Il a toujours eu ce genre de sorties, il est un peu comme ça. Mais la seule fois où cela m’a mis mal à l’aise, c’était sur les kwasa-kwasa qui reflétait son humour un peu noir. »
« Il y a une énorme différence entre Emmanuel Macron et Nicolas Sarkozy », observe l’ancienne sarkozyste Aurore Bergé. « Sarkozy aime le conflit, l’affrontement. Macron, lui, ne le recherche pas. Mais il n’en a pas peur quand il existe. Et dans ce cas, son ton est toujours mesuré. »
« Choquant dans la bouche d’un président de la République »
Fainéants, « gens de rien » ou sortie sur le costard: si Emmanuel Macron multiplie les propos polémiques, « c’est dû à son âge car il parle comme tout le monde » », complète anonymement une néo-députée LREM. « A un moment, il faut appeler un chat un chat », justifie-t-elle sur le fond. Mais sur la forme, le mot « bordel » est « choquant dans la bouche d’un président de la République », concède-t-elle. « Il devrait tout le temps retenir son langage. Ce qu’il a dit en Corrèze, il aurait pu le dire autrement. Mais il n’est pas parfait et il en fera d’autres, des bourdes. » Sans conséquences, selon elle. Élue dans un territoire populaire et déclassée, la députée indique qu’à l’exception d’un syndicaliste, personne dans sa circonscription n’a évoqué avec elle la sortie présidentielle sur les « fainéants » par exemple.
Élu lui aussi dans un territoire frappé par le chômage, le député LREM Frédéric Barbier estime que « les petites phrases ne sont pas utiles ». « Le rôle d’un président, c’est de rassembler. Si on veut entraîner la France avec nous sur le projet de loi de finances, on aura besoin de tout le monde. » Pour cet ancien socialiste, il faut aussi « accepter que les gens s’expriment dans la rue ». Un peu de grogne social pour s’épargner… un joyeux bordel.