A l’heure où la Catalogne milite pour son indépendance, des petits mouvements tentent de faire entendre leur voix, partout en France, pour défendre une culture qu’ils estiment menacée. Franceinfo a interrogé ces militants régionalistes dont on parle peu.
« L’Etat ne veut pas reconnaître nos spécificités ! » Ce cri d’alarme ne vient pas de Catalogne, où un référendum d’indépendance, jugé illégal, a eu lieu dimanche 1er octobre, mais du cœur des Alpes, en Savoie. En France, les velléités d’indépendance ne se cantonnent plus à la Bretagne, la Corse, l’Alsace ou le Pays basque. Des mouvements régionalistes, qu’ils soient ou non indépendantistes, ont fait leur apparition ailleurs, de manière plus confidentielle. Franceinfo a interrogé ces petits groupes méconnus en Bourgogne, Limousin, Provence et Savoie.
En Savoie : « Nous n’avons aucun point commun avec le reste de la France »
Sur les routes sinueuses de Savoie, il est facile de repérer Fabrice Dugerdil. Au volant de sa voiture, cet indépendantiste affiche sa différence. Sa plaque d’immatriculation n’arbore pas le drapeau européen, mais une croix blanche sur fond rouge. Le « F » de France a été remplacé par « SE », pour Savoie. Le département français a aussi été effacé au profit de l’une des provinces de « l’Etat de Savoie », le Faucigny (« FY »). Une liberté prise avec la réglementation européenne qui lui a valu, en plus d’un défaut de présentation d’un document d’identité, trois mois de prison au début de l’année 2015.
Mais rien ne semble arrêter le président du groupe indépendantiste nommé « Direction aux affaires savoisiennes » quand il s’agit de défendre les spécificités de « l’Etat de Savoie ». « Nous sommes des montagnards. Nous n’avons aucun point commun avec le reste de la France, lance-t-il au téléphone. On a davantage d’affinités avec des Piémontais que des Isérois. Les premiers sont nos frères, les seconds, au mieux des cousins. » Cette différence de territoire implique selon lui des spécificités en termes de culture, de transports, de gestion de la pollution et même de caractère.« Nous avons une mentalité un peu plus rude au premier abord », juge Fabrice Dugerdil.
Avec son mouvement, il affirme distribuer un millier de « cartes d’identité » locales tous les ans, sans aucune valeur légale, mais indiquant une adhésion assez large à leurs idées. Il préfère d’ailleurs utiliser le terme « Savoisien » plutôt que « Savoyard », car le premier est utilisé pour l’ensemble des habitants de « l’Etat de Savoie », un territoire hérité du duché de Savoie, qui existait jusqu’en 1860, et pas seulement pour ceux du département de la Savoie.
Pour porter la voix de sa région encore plus loin, Fabrice Dugerdil emploie les grands moyens. En 2012, il crée un gouvernement provisoire de l’Etat de Savoie avec d’autres groupes indépendantistes savoyards. Peu après, le groupe intègre l’Organisation des nations et des peuples non représentés (UNPO), une instance internationale où ils côtoient les Kurdes irakiens, les Tatars de Crimée ou encore le Cercle du Parlement breton. Cette reconnaissance leur a permis de s’exprimer à la tribune de l’ONU en novembre 2015.
« Notre objectif est de faire reconnaître nos spécificités et nos droits à l’international » (Fabrice Dugerdil, président de la Direction aux affaires savoisiennes à Franceinfo)
Pour arriver à ses fins, le groupe a même engagé un bras de fer contre la France en déposant un dossier de plainte auprès de l’ONU et en brandissant la possibilité de porter plainte devant la Cour internationale de justice de La Haye. Il estime que l’Etat français empêche les Savoisiens de faire vivre leurs spécificités. Alors, quand on évoque le combat des indépendantistes catalans, Fabrice Dugerdil souscrit immédiatement. « On soutient les Catalans, comme on soutient les Kurdes en Irak ou les Camerounais du Sud, explique-t-il. Ce sont des peuples qui se retrouvent dans des pays avec qui ils n’ont aucune affinité. »
En Provence : « Le pouvoir d’Etat parisien se fiche un peu de la province »
Parmi les mouvements régionalistes, Prouvènço Nacioun fait partie des plus récents. Les statuts de l’association, qui milite pour une plus grande autonomie de la Provence, ont été déposés en septembre 2017. « On est en train de rassembler une équipe et de préparer un programme politique, pour ensuite pouvoir nous présenter à une élection », annonce son président, Alain Guarino.
Les débats sont encore en cours dans le mouvement pour définir le degré d’autonomie revendiqué, d’autant que la concurrence existe dans la région avec d’autres mouvements bien installés. Une chose est sûre pour ces quelques dizaines de militants, la culture provençale est en danger. « La langue provençale est en train de disparaître, alerte Alain Guarino. Nous voulons qu’elle soit reconnue et nous allons lancer une pétition pour avoir une signalétique bilingue. »
Au-delà de la culture, c’est la gestion des pouvoirs publics dans les régions qui a poussé certains habitants à se mobiliser. « Le pouvoir d’Etat parisien se fiche un peu de la province, il se désengage des régions, constate amèrement Alain Guarino. Alors, je pose la question : à quoi sert l’Etat aujourd’hui ? » Lui plaide pour une réorganisation des territoires en faveur de nouveaux Etats, plus proches des habitants.
« La France est un pays artificiel, on a créé un peuple de toutes pièces » (Alain Guarino, président de Prouvènço Nacioun à franceinfo)
Dans ce combat, les Catalans semblent ouvrir la voie. « Ce qui se passe en Catalogne a été comme un détonateur, explique Alain Guarino. Ça va peut-être amorcer un mouvement dans toute l’Europe. Pour moi, l’Europe de demain sera celle des régions d’aujourd’hui, avec des habitants qui reviennent vers leur culture face à une mondialisation effrénée. »
En Bourgogne : « On a envoyé un courrier à Ban Ki-moon »
En vous baladant sur les chemins des villes et villages de Bourgogne, vous avez peut-être déjà aperçu des autocollants représentant un étrange signe de la main en blanc sur fond noir. Il s’agit du signe de l’escargot, avec ses deux antennes, logo de ralliement du mouvement de la Bourgogne libre.
Le mouvement pour la Bourgogne libre ne se limite pas à placarder des autocollants. Ils ont décidé d’interpeller des personnalités politiques pour les sensibiliser à leur cause. « On a envoyé un courrier à Ban Ki-moon [l’ancien secrétaire général des Nations unies] pour que l’ONU reconnaisse la Bourgogne, mais on n’a pas eu de réponse », relate-t-il, sans trop y croire. Alors, les indépendantistes se sont rabattus sur les personnalités politiques locales, en leur proposant, notamment, une charte pour défendre la culture bourguignonne lors des élections.
A long terme, le mouvement aimerait recréer une Europe morcelée, avec une multitude de cultures affirmées. « Il faudrait retrouver un découpage comme au Moyen-Âge, explique Germain Arfeux. L’Europe serait beaucoup plus intéressante avec une multitude de petits Etats et de cultures, comme l’Italie au moment de la Renaissance. » Et l’indépendantiste veut voir dans l’exemple catalan un signe avant-coureur de cette transformation.
En plein cœur de la France rurale, le Limousin n’échappe pas aux revendications régionalistes. Depuis près de dix ans, c’est la Communauté révolutionnaire indépendante limousine qui arbore fièrement les couleurs et la culture du Limousin, avec peu de politique, mais une bonne dose de marketing. « Fuck la Nouvelle-Aquitaine », peut-on lire sur un tee-shirt du groupe dénonçant l’absorption du territoire dans cette nouvelle grande région.
Derrière ces messages volontairement provocants se cache un entrepreneur limousin, Laurent Mandon. « Moi je ne fais pas de politique, je ne me présente pas aux élections, prévient tout de suite le patron de 39 ans. Ce que je fais, c’est renforcer l’identité de la région. » Après avoir passé plusieurs années à l’étranger, puis en Corse et à Paris, cet ancien journaliste décide de créer une marque pour promouvoir les spécificités de sa région, trop souvent oubliées selon lui.
Tee-shirts aux slogans pro-Limousin, Limouzi Cola, Moujito, Limounade… Le Limousin devient un outil marketing puissant. Et l’entrepreneur assume. « Oui, aujourd’hui, c’est ce qui me fait vivre, mais j’ai fait le boulot du conseil régional gratuitement, lance-t-il à franceinfo. On n’a jamais vu les habitants de la région aussi fiers ! » Derrière son business bien ficelé, on ressent un véritable attachement à sa région. « Les émailleurs, les porcelainiers… Les gens ont de l’or dans les mains ici ! » clame Laurent Mandon*.
Cette volonté d’affirmer l’identité de sa région a donné à Laurent Mandon une sensibilité toute particulière aux derniers événements en Catalogne. « Quand un peuple parle, pourquoi on ne l’écoute pas ? s’interroge-t-il. Le gouvernement espagnol a fait tout l’inverse de ce qu’il fallait faire. Il faut laisser les peuples choisir. » Mais pour le moment, le régionalisme en Limousin semble se cantonner à quelques slogans sur des tee-shirts.
* – Laurent Mandon, créateur de la Communauté révolutionnaire indépendante limousine.