Emmanuel Macron : ce que ses mots disent de lui

«Le Poids des mots» a analysé plus de 65 interventions d’Emmanuel Macron durant la campagne pour l’élection présidentielle. Voici ce que ses discours disent de lui.

L’élection d’Emmanuel Macron ce 7 mai à la présidence de la République avec 65,5% des suffrages (estimation Ifop) met un terme à une campagne à nulle autre pareille. Un démarrage avec des primaires qui désignent deux vainqueurs inattendus. L’irruption des affaires qui font chuter le favori, François Fillon. Un entre-deux-tours qui voit s’affronter une candidate de l’extrême droite, issue d’un parti qui n’a jamais récolté autant de suffrages, et un candidat nouvellement débarqué dans le paysage politique dont le mouvement a été créé il y un an seulement. Un débat de l’entre-deux-tours d’une brutalité rare. Une abstention jamais vue depuis 1969 au second tour d’une présidentielle. Quant au vainqueur, il est le plus jeune Président de la Vème République.

Depuis le 30 janvier au le lendemain de la primaire de la gauche, «Le Poids des Mots» a pris en compte plus de 65 interventions publiques du fondateur d’En Marche!, orales pour la plupart. Des meetings, des conférences de presse, des entretiens à la télévision, à la radio, dans la presse écrite, les débats ou des directs sur les réseaux sociaux. Son langage, les mots qu’il répète et ceux qu’il tait, révèlent un portrait du président élu.

Sa promesse : une France réconciliée

De tous les candidats à la présidentielle, Emmanuel Macron est celui qui a le plus prononcé le mot «projet» (585 fois) de toute la campagne, mettant en avant le fait qu’il a été élaboré avec les sympathisants d’En Marche!. Il promet de rassembler une France fracturée. Le terme «rassembler» apparaît 49 fois et «rassemblement» 44 fois. Cette volonté se traduit également par l’emploi fréquent du mot «ensemble» (178) et par le fait qu’il est le seul à systématiquement utiliser les formules «chacune et chacun» (71) ou «celles et ceux» (227). Même lorsqu’il évoque les «jeunes», il complète en général sa phrase par «et les moins jeunes». Alors que Marine Le Pen ne prononçait pas le mot «réconciliation», il l’emploie, comme à Albi le 4 mai lors de son dernier meeting avant le second tour : «C’est dans la réconciliation de ces voix qui se sont exprimées que pourra se conduire l’action concrète, qui rendra la France plus forte, plus solidaire plus cohérente face aux défis qui sont les siens». Des trois mots qui forment la devise républicaine, c’est la «liberté» sur laquelle il insiste le plus, loin devant «l’égalité» et la «fraternité». Néanmoins, pendant son allocution le soir de sa victoire, il parle de «la France fraternelle».

Ni droite, ni gauche?

Reléguant la grille de lecture classique de la vie politique française, divisée entre la droite et la gauche, l’ancien ministre de l’Economie du gouvernement Valls cherche une position non pas centriste, mais centrale. S’il parle un peu plus de la droite (188) que de la gauche (153), il veut créer «un camp progressiste central», disait-il dans un entretien au «Monde» le 3 avril dernier. D’ailleurs il prononce à 52 reprises les mots «progressiste(s)». Il fournit des détails à Albi : «Un projet progressiste qui vise à redonner de la force à la République, qui vise à redonner par l’école, par le travail, une capacité à chacune et chacun de reprendre sa place de construire un parcours. Construire une société plus efficace et plus juste et qui veut une France conquérante dans une Europe plus forte. C’est ce projet d’avenir que nous portons.»

Tout au long de la campagne, de tous ses adversaires, c’est Marine Le Pen qu’il cite logiquement le plus, avec un pic de 147 occurrences pendant le débat de l’entre-deux-tours. En revanche, avant le soir du premier tour, c’est le candidat LR François Fillon qui obtenait le plus de mentions, loin devant le socialiste Benoît Hamon et le leader de la France insoumise Jean-Luc Mélenchon.

Sa vie personnelle

Emmanuel Macron a parlé de temps à autre de sa famille. De sa femme surtout, Brigitte Macron, qui apparaît souvent à ses côtés. Lors de son entretien à Paris Match le 5 mai dernier, il décrit la relation qui les unit : «Brigitte c’est un peu moi et réciproquement. On a des désaccords, Dieu merci. Mais son regard est toujours là. Elle m’a toujours accompagné. Nous avons fait campagne ensemble. Nous l’avons assumé ensemble. J’ai besoin de voir ce qu’elle sent, ce qu’elle ressent, d’avoir son retour. C’est aussi une condition d’équilibre.» Dès le début de la campagne, le 6 février dernier, il avait choisi de tordre le cou aux rumeurs qui circulaient sur sa vie privée en s’invitant par surprise à un rassemblement de ses militants à Bobino. Il s’en expliquera le 17 avril aux lecteurs du «Parisien» : «Je l’ai traitée [la rumeur] avec humour, parce que c’est la meilleure manière de traiter les rumeurs. On disait dans les dîners parisiens que j’étais homosexuel. C’est déstabilisant pour vos proches, pour vous-même. Mais cela en dit surtout long sur la dégradation profonde des mœurs politiques, sur l’homophobie et la misogynie rampantes. Si j’avais eu 20 ans de plus que mon épouse, personne n’aurait pensé que nous puissions être un couple illégitime.»

Il évoque également le reste de sa famille, une fois son père, une fois sa mère, plus souvent sa grand-mère. «Manette», aujourd’hui décédée, a été, selon lui, déterminante dans son éducation et notamment dans ses lectures. Dans une interview à «l’Obs» le 16 février, il se souvient : «Oui, j’ai grandi dans sa bibliothèque, que j’ai toujours dans ma maison du Touquet. Certains auteurs m’ont moins touché, Anatole France, Georges Duhamel ou Jules Romains, toute une littérature qu’elle aimait bien, mais qu’on ne lit plus. En revanche, j’ai été profondément marqué par Gide, Giono, Camus, que ma grand-mère m’a fait lire quand j’étais adolescent.» La ville d’Amiens, où il a grandi et dont il est parti jeune adulte, il la cite 22 fois. C’est au même endroit qu’aura lieu la passe d’armes avec Marine Le Pen au sujet de Whirlpool dans la première semaine de l’entre-deux-tours. De son expérience passée, il dit qu’il a connu des réussites, mais aussi des «échecs», «Moi, j’ai fait beaucoup d’erreurs, j’ai connu des échecs. C’est parfois ce qui m’a meurtri, mais c’est à chaque fois ce qui m’a le plus appris, le plus nourri. Ce qui m’a, à chaque fois, rendu fort», lance-t-il lors de son meeting à Toulon dans le Var le 18 février. Parmi eux, son échec au concours d’entrée à Normale Sup.

Son « Panthéon présidentiel »

De ses sept prédécesseurs au Palais de l’Elysée depuis 1958, c’est le général De Gaulle qu’il cite le plus. Dans son meeting à Bercy le 17 avril, il s’inscrit dans sa continuité : «Je choisis comme le Général De Gaulle le meilleur de la gauche et le meilleur de la droite et même le meilleur du centre.» Il met dans «son Panthéon personnel» (Le Parisien, 12 avril) De Gaulle et Mitterrand, qui incarnent «deux moments de rupture très forte dans notre histoire contemporaine.» Et détaille sa vision du pouvoir : «Présider, ce n’est pas gouverner. Parce que le président est le garant des institutions, et que ce n’est pas compatible avec la pratique d’être responsable de tout. C’est une source de malheur et un trouble collectif. Le rôle d’un président de la République, c’est de donner le sens, le cap, la direction de ce qui est entrepris. (…) On doit retrouver un certain goût pour le temps long, notre peuple en a besoin». Le choix du Louvre évoque les septennats Mitterrand. Et le soir de sa victoire, le 7 mai, l’arrivée d’Emmanuel Macron, seul et à pied à la pyramide du Louvre, rappelle la mise en scène du président socialiste en 1981 au Panthéon.

Valéry Giscard d’Estaing, qui était, avant le 7 mai 2017, le plus jeune président de la Vème, n’est cité que trois fois. Quant à François Hollande, qui a marqué son entrée en politique, pour qui il a planché pendant la campagne de 2012, avant de devenir secrétaire général adjoint de l’Elysée, il en a peu parlé pendant la campagne. Ses adversaires n’ont eu de cesse de le décrire comme l’héritier de François Hollande, François Fillon le rebaptisant même «Emmanuel Hollande». Emmanuel Macron saluera le Président sortant lors d’un entretien à la presse régionale pendant l’entre-deux-tours en ces termes : «Je pense que François Hollande a assaini la vie politique. C’est quelqu’un d’honnête, il faut quand même le souligner. Il a été digne et a maintenu la cohésion nationale après les attentats. J’ai des désaccords que j’assume, mais je refuse de hurler avec les loups.» Il a annoncé à plusieurs reprises qu’il ne révélerait pas le contenu de leur conversation lors de la passation de pouvoirs le 17 mai prochain.

Un tic de langage révélateur

Le 18 février, lors d’un meeting à Toulon, il a répété 29 fois «en même temps». Et au moins 216 fois en trois mois… Interrogé à plusieurs reprises sur ce tic, il le transformera en argument le 17 avril lors de son meeting à Bercy. «C’est un tic de langage (…) qui voudrait dire que je ne suis pas clair. Que je ne sais pas trancher. Que je serais flou. Parce que vous savez, il y en a qui aiment les cases, les idées bien rangées. Eh bien je veux vous affirmer ce soir je continuerai à utiliser « en même temps » dans mes phrases mais aussi dans ma pensée. Parce que « en même temps », ça signifie simplement que l’on prend en compte des impératifs qui paraissaient opposés mais dont la conciliation est indispensable au bon fonctionnement d’une société».

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