Madrid a donné au président séparatiste catalan Carles Puigdemont jusqu’au jeudi 19 octobre pour revenir sur sa déclaration d’indépendance enclenchant un compte à rebours avant d’utiliser l’arme de la suspension de l’autonomie de la Catalogne.
M. Puigdemont a d’abord jusqu’à lundi à 10H00 pour « clarifier » sa position sur l’indépendance, a annoncé le chef du gouvernement Mariano Rajoy.
Si le leader catalan persiste, ou ne répond pas, le gouvernement lui accordera un délai supplémentaire jusqu’au jeudi 19 octobre à 10H00 pour faire machine arrière, avant de prendre le contrôle de la Catalogne comme le lui permet l’article 155 de la Constitution.
La suspension de l’autonomie, sans précédent depuis 1934, serait considérée par beaucoup de Catalans comme un affront. Elle pourrait déclencher des troubles dans cette région très attachée à sa langue et sa culture et qui avait récupéré son autonomie après la mort du dictateur Francisco Franco (1939-1975).
Lors d’une séance confuse mardi au parlement de Catalogne, « a été annoncé une déclaration unilatérale d’indépendance qui a ensuite été suspendue mais qui a plus tard été signée », avait résumé avec sarcasme le chef du Parti socialiste espagnol Pedro Sanchez, évoquant une « cérémonie de l’absurde ».
Les dirigeants indépendantistes s’appuient sur la victoire du oui à l’indépendance au référendum d’autodétermination interdit et contesté du 1er octobre – avec 90% des voix et une participation de 43%, selon eux – pour justifier leur déclaration d’indépendance. A ce stade, elle a seulement un caractère « symbolique », a cependant assuré mercredi le porte-parole du gouvernement catalan Jordi Turull.
« Ce qui s’est passé hier est lamentable », a estimé M. Rajoy en fustigeant le « conte de fées » des indépendantistes. Sans surprise, le chef du gouvernement conservateur a rejeté la demande de dialogue de Carles Puigdemont qui, après avoir appelé à la discussion la veille, a réclamé à nouveau l’aide d’un « médiateur » lors d’un entretien mercredi à CNN.
« Il n’y a pas de médiation possible entre la loi démocratique et la désobéissance, l’illégalité », a répondu M. Rajoy.
L’Union européenne, déjà secouée par le Brexit, suit la crise avec inquiétude. La Commission européenne a rappelé avec force mercredi qu’elle attendait un « plein respect de l’ordre constitutionnel espagnol ». Paris, Berlin et Rome ont dénoncé le caractère « illégal » et « inacceptable » d’une déclaration d’indépendance.
A Madrid, le gouvernement a reçu le soutien du Parti socialiste, principal parti d’opposition, avant d’enclencher l’article 155 de la Constitution, encore jamais utilisé.
Les deux partis ont également trouvé un accord pour étudier dans les mois à venir une réforme de la Constitution afin de tenter de résoudre la plus grave crise politique en Espagne depuis son retour à la démocratie en 1977, qui divise aussi profondément les habitants de la Catalogne, où vivent 16% des Espagnols.
Le ministre des Affaires étrangères Alfonso Dastis a accusé les séparatistes d’être « une force destructrice qui se propose de vaincre la démocratie, détruire l’Etat de droit et mettre en danger l’espace européen ».
Selon Frederico Santi, analyste d’Eurasia Group, « la crise politique et institutionnelle va s’aggraver, sauf improbable changement de gouvernement à Madrid ou à Barcelone ».
Hormis la suspension d’autonomie, le gouvernement a d’autres instruments à sa disposition, comme un état d’urgence allégé lui permettant d’agir par décrets.
Une arrestation de Carles Puigdemont et son entourage dans le cadre d’une enquête judiciaire déjà ouverte pour sédition n’est pas exclue non plus.
Toute mesure drastique risquerait cependant de provoquer des troubles en Catalogne, région de 7,5 millions d’habitants pesant 19% du PIB du pays.
« Il est évident que la suspension de l’autonomie provoquerait une réaction assez massive de la population catalane » et pourrait in fine « provoquer un renforcement du sentiment indépendantiste », a mis en garde Oriol Bartomeus, professeur de sciences politiques à l’Université autonome de Barcelone.
Madrid a déjà pris en septembre une mesure exceptionnelle en mettant sous tutelle les finances de la région. Et les milieux d’affaires, inquiets de l’instabilité dans la région, continuent depuis une semaine à exercer une pression sur les séparatistes en déménageant les sièges sociaux de leurs sociétés hors de Catalogne.
Mercredi, l’assureur Axa Espagne et le groupe mexicain Bimbo, premier boulanger mondial, ont à leur tour transféré les sièges sociaux de leurs filiales hors de la Catalogne.