Il y a 50 ans, de Gaulle lançait « Vive le Québec libre » de la mairie de Montréal, et recevait un accueil délirant de la population francophone, ouvrant la voie à un référendum sur l’indépendance.
Aujourd’hui, la Catalogne vote dans la confusion pour son indépendance. C’est l’occasion de saluer le geste historique du général et d’en tirer les leçons sur la gestion de la crise catalane.
Les Français du Canada avaient été oubliés par la France pendant deux siècles. Et réciproquement, l’Église catholique francophone, qui remplaçait de fait le roi de France et sa noblesse, ignorait notre pays pour cause de révolution et de laïcité.
LES DEUX BRANCHES DU PEUPLE FRANÇAIS
Et voici que le catholicisme disparaissait du Québec, au moment où un président français, probablement au fond de lui-même plus historien que militaire, pensait que le divorce entre ces « deux branches du peuple français » avait trop duré.
Ce coup d’éclat suscita d’abord l’incompréhension générale, sauf bien sûr au Québec.
Quelques jours plus tard, j’accompagnai une délégation de sénateurs français au Canada. Ce n’était que lamentations dans l’avion : « Notre président est gâteux ».
Je leur rappelai quelques données historiques qui les ébranlèrent, et le coup de grâce fut donné par le maire de Québec : « Votre président a été formidable ! ». En vieux politiciens, ils retournèrent instantanément leurs vestes et se découvrirent ardemment gaullistes.
LA LIBERTÉ EST UN SENTIMENT, NON UN STATUT
Notons que, comme d’habitude, la phrase de Gaulle était plus provocante dans la forme que sur le fond : il avait dit « libre » et non « indépendant », de manière à laisser ouverte toutes les possibilités, pourvu que la volonté des Québécois soit respectée.
Les autonomistes s’étaient d’ailleurs sentis autant encouragés que les indépendantistes. Quelques années après eut lieu un référendum sur l’indépendance, perdu de très peu du fait du vote de la population qui n’était pas d’origine québécoise.
Aujourd’hui, l’indépendance n’est plus d’actualité, les Québécois pouvant en général vivre en français, ce qui démobilise les indépendantistes.
Et la question du maintien à long terme de leur langue est passé du politique au démographique : faible fécondité, donc nécessité d’une immigration francophone, française bien sûr, mais aussi maghrébine, subsaharienne et haïtienne, ce qui pose de nouvelles questions.
LA LANGUE DU PAYS
Certes, beaucoup défendent à juste titre que l’indépendance permettrait des progrès encore bien nécessaires, mais c’est un débat d’idées pacifique, tandis que chacun peut constater l’immense amélioration de la situation des francophones depuis 1960.
Amélioration du décor (signalisation, enseignes, publicités…) devenu très majoritairement français, même à Montréal, ville-monde, travail en français dans les grandes entreprises, cadres anglophones devenus bilingues, tandis que le gouvernement québécois peut donner une préférence aux immigrants francophones et les diriger vers les écoles françaises.
Bref, le français n’est plus une langue inférieure, mais la langue du pays, dans le respect d’une minorité anglophone d’environ 10 % qui a lâché la plupart de ses anciens postes de commande.
Par ailleurs un des objectifs du général a été atteint avec le rétablissement des liens avec la France : coopération gouvernementale, larges échanges culturels dans les deux sens, immigration de dizaines de milliers de Français. Bref le Québec est un pays frère et non plus une terre inconnue.
LA LANGUE N’EXPLIQUE PAS TOUT
Comme le Québec, la Catalogne a une population historiquement distincte du reste de l’Espagne. Mais plus encore que Québec, elle a sur son sol des populations originaires du reste de l’Espagne et de l’étranger qui peuvent électoralement mettre en minorité les Catalans indépendantistes et faire échouer un référendum « officiel ».
Remarquons que la langue n’explique pas tout puisqu’il y a d’autres régions de langue catalane, les Baléares et Valence, où il y a peu de séparatistes.
Remarquons surtout que, malgré le très vif mécontentement des autorités canadiennes, jamais la police n’est intervenue pour réprimer les mouvements de foule favorables au général de Gaulle, ou pour empêcher le référendum sur l’indépendance décidé par le gouvernement provincial du Québec.
Le contraste avec la situation actuelle en Catalogne est total : on a vu le gouvernement espagnol utiliser la force, ce qui est à la fois choquant quant au principe et contre-productif.
Il faut probablement attribuer cela à la crainte de perdre sa province la plus riche et gros contributeur fiscal, au-delà bien sûr des proclamations de sauvegarde de l’unité espagnole.
L’Espagne semble de plus avoir demandé à Bruxelles d’exiger d’une éventuelle Catalogne indépendante de reprendre à partir de zéro son admission dans l’Union Européenne, c’est-à-dire dans un premier temps de l’exclure.
Bref les pressions se multiplient sur les Catalans, ce qui ne fait que les braquer.
Il est donc urgent que l’Espagne, comme l’Union européenne donne, comme l’a fait le Canada, priorité à la liberté sur toutes ses formes. C’est le fait de limiter cette liberté et le sentiment qu’elle est menacée qui pousse à vouloir quitter la maison commune.
Que les Québécois ou les Catalans veuillent être indépendants ou non, c’est leur affaire !