Les électeurs autrichiens étaient appelés aux urnes le 15 octobre pour des élections législatives anticipées. 70 % des 6,4 millions d’inscrits s’y sont rendus, soit une participation en hausse de 2,4 points par rapport à 2013.
La forte progression du Parti populaire (ÖVP, droite conservatrice) et celle du FPÖ (généralement classé à l’extrême-droite) étaient attendues. Elles n’en ont pas moins constitué une douche froide pour les dirigeants européens qui, il y a quelques mois encore, fêtaient la victoire de l’ex-écologiste Alexander Van der Bellen (53,8 %) sur son concurrent du FPÖ, Norbert Hofer (46,2 %) lors du second tour de la présidentielle de décembre 2016. Tant à Bruxelles qu’à Paris et à Berlin, on avait alors fort imprudemment salué ce signal censé annoncer partout un retour de flamme populaire en faveur de l’UE et une baisse de l’«euroscepticisme».
Eurosceptique, le FPÖ l’est en réalité de manière très relative. Il ne demande pas la sortie de l’UE, ni même désormais un référendum sur l’euro, comme c’était encore le cas il y a deux ans. En revanche, il a imposé son hostilité à l’immigration, en réalité à l’«islamisation», thème qui a dominé toute la campagne. En obtenant 27,1% des suffrages, il progresse de 5,9 points par rapport à 2013, ce qui le laisse cependant en troisième position.
Son leader, Heinz-Christian Strache, triomphait au sortir du dépouillement, affirmant que ses idées avaient recueilli les faveurs de 60 % des électeurs. Un chiffre obtenu en additionnant ses propres suffrages à ceux obtenus par l’ÖVP, tant la campagne menée par le jeune chef de ce parti a également été centrée sur l’immigration.
Avec 31,5 % des voix (+ 7,6 points), Sebastian Kurz a en tout cas réussi le pari de sortir de l’ornière la vieille formation conservatrice, qui menaçait d’être engluée dans une «grande coalition» avec les sociaux-démocrates au pouvoir depuis dix ans (une configuration récurrente depuis la fin de la seconde guerre mondiale).
Monsieur Kurz, qui avait été nommé à 24 ans secrétaire d’Etat à l’intégration avant d’être promu ministre des Affaires étrangères à 27 ans, en 2013, a créé la surprise en prenant la tête de son parti en mai dernier. Il a alors choisi de rompre l’accord de coalition avec le SPÖ, ce qui a provoqué ces élections anticipées.
Si sa jeunesse et sa carrière fulgurante ont été largement commentées, c’est bien son orientation politique qui préoccupe les chancelleries européennes. Certes, officiellement, son parti est toujours membre du très européiste Parti populaire européen, où siègent notamment la CDU allemande et Les Républicains français.
Mais sur nombre de questions, il se rapprocherait volontiers des positions du «groupe de Visegrad» (Pologne, République tchéque, Slovaquie et Hongrie), soit exactement à l’opposé des velléités intégrationnistes affichées par Emmanuel Macron. Il n’a pas caché sa sympathie pour le Premier ministre hongrois, Viktor Orban, bête noire de Bruxelles.
Quant au Parti social-démocrate (SPÖ), auquel appartient le chancelier sortant, Christian Kern, il limite les dégâts en rassemblant 26,8 % des suffrages, soit un très léger recul de 0,3 point. Or il pouvait non seulement craindre de souffrir du discrédit d’une «grande coalition» arrivée à bout de souffle, mais aussi des scandales qui ont jalonné la campagne, où l’un de ses proches conseillers a été accusé de manœuvres sordides de diffamation contre ses adversaires.
Par ailleurs, le SPÖ lui-même a durci sa tonalité en matière migratoire. Il est vrai que, lors de la vague de 2015, ce pays de 8,7 millions d’habitants avait vu arriver 130 000 demandeurs d’asile – la deuxième plus forte proportion après la Suède.
Les Verts ont été la seule formation vantant l’accueil. Ils dégringolent de 11,6% en 2013 à 3,4% cette fois-ci, et sont ainsi éliminés du parlement. Il est vrai qu’ils ont subi la concurrence de listes dissidentes (4,1%). Enfin le parti Neos, «centriste» et ultralibéral, passe de 4,8 % à 5 %.
Quelle nouvelle coalition ?
Les discussions commencent donc en vue de la formation d’une nouvelle coalition gouvernementale. Arrivé en tête, monsieur Kurz va entamer des pourparlers avec d’une part le FPÖ, d’autre part le SPÖ. L’éventualité de la reconduction d’une grande coalition étant fort peu probable, c’est la première hypothèse qui semble tenir la corde.
Sur le plan programmatique, aucune incompatibilité ne devrait se faire jour. Il est en revanche probable que des pressions européennes s’exerceront discrètement pour faire échouer cette tentative.
Cependant, la situation n’est plus du tout celle qui avait prévalu en 2000, lorsqu’une première alliance droite/extrême droite avait été conclue. L’UE (à quinze) avait alors mis l’Autriche en quarantaine, avant de constater que cette sanction contre un pays membre avait scandalisé nombre d’électeurs, pas seulement du FPÖ, et avait finalement renforcé celui-ci.
Les obstacles à une majorité ÖVP-FPÖ se situeraient plutôt du côté du FPÖ lui-même. Ce dernier peut être tenté de faire monter les enchères en exigeant nombre de postes ministériels important. Car il est dans une position clé : sans lui, l’ÖVP ne peut que renouveler la grande coalition sortante, ce qui serait interprété comme une trahison par beaucoup de ses électeurs ; ou bien former un gouvernement minoritaire, une hypothèse totalement contraire aux habitudes autrichiennes.
Si les pourparlers devaient s’enliser, il resterait alors une ultime hypothèse : une alliance entre le FPÖ et… le SPÖ. Elle serait décrite comme contre-nature par beaucoup de commentateurs européens, mais n’est pas impensable : les deux partis sont déjà associés au gouvernement régional du Burgenland, ainsi qu’au Conseil de la ville de Linz (capitale de la Haute-Autriche). Et, du point de vue des élus des deux formations, cela ne se passe pas si mal.
Du reste, des personnalités social-démocrates avaient plaidé pour ne pas exclure une telle configuration, notamment le président de la centrale syndicale unique, l’ÖGB.
Cet apparent paradoxe traduit peut-être le malaise qui règne dans le pays, qui s’est cristallisé sur la question migratoire, mais dont les véritables racines sont plus profondes. L’Autriche affiche certes des statistiques économiques plus flatteuses que la moyenne européenne (chômage officiel à 5,6 %, croissance prévue à 2,8 % en 2017), mais les inégalités sont montées en flèche depuis 2000. Désormais, 1 % de la population possède 40 % du PIB.
Ce débat a réussi à surgir pendant la campagne lorsque les sociaux-démocrates, pourtant au pouvoir depuis 2007, ont pensé qu’ils pouvaient en faire un thème électoral. Reste à savoir ce qu’il va devenir une fois l’échéance électorale passée.