Après la chute de Raqqa, que reste-t-il de l’EI ?

Le groupe Etat islamique a perdu près de 90% du territoire détenu à son apogée et une grande partie de ses combattants.

Et maintenant ? Après la chute de Raqqa, sa « capitale » syrienne, que va devenir Daech ? En un peu plus de trois ans, le groupe Etat islamique (EI), maître de 8 à 10 million d’âmes à son apogée, a vu son empire rétrécir comme peau de chagrin.

Des pertes en territoire, population, combattants…

Après la perte en juillet de Mossoul, sa plus belle prise en Irak, et celle de Raqqa, il y a deux jours, l’EI, qui tenait 40% de l’Irak et 30 % de la Syrie a perdu près de 90% de son territoire (voir les cartes Liveuamap ci-dessous).

Il n’occupe plus qu’un espace de 15 000 km², selon la coalition anti-djihadiste dirigée par les Etats-Unis, sans doute moins, sachant qu’une majeure partie de cet espace est désertique. Les pertes en hommes sont d’autant plus difficiles à évaluer que l’estimation du nombre de ses combattants était très vague. Entre 20 000 et 35 000 au Levant en 2014, selon un rapport de l’Assemblée nationale, dont 15 000 étrangers. Certains évaluent ses forces à plus de 100 000 hommes en 2015. Aujourd’hui, « entre 3000 et 7000 terroristes [de l’EI] continuent de se battre en Irak et en Syrie », d’après la coalition.

Une véritable saignée. Nombre de ces hommes sont morts dans les combats ou les frappes aériennes. Quelques-uns ont été fait prisonniers. D’autres, assurait au New York Times un responsable du Conseil de Mossoul en juillet dernier, « ont rasé leur barbe, changé de vêtements, et circulent librement ».

Des réseaux et des ambitions revus à la baisse

Outre les combattants, l’EI a aussi perdu l’essentiel de ses réseaux et sources de financement, précisait à L’Express la spécialiste de l’Irak Loulouwa Al Rachid, après la chute de la grande ville du nord de l’Irak.

La perte de territoire s’accompagne inévitablement d’une mise en cause des ambitions de l’EI. « C’est un coup mortel aux prétentions de l’EI d’être l’avant-garde d’un nouvel ordre mondial musulman », explique le spécialiste du groupe armé Nicholas Heras au site La Tercera. L’organisation qui avait proclamé le « Califat » va retourner aux opérations de guérilla, ce qu’elle déjà commencé à faire ces derniers mois.

Pour autant, l’organisation est loin d’être complètement défaite. « L’EI reste un phénomène idéologique autant que militaire, qui n’est pas prêt de disparaître. Le fait que les kamikazes soient de plus en plus souvent des Irakiens et non plus seulement les combattants étrangers illustre leur enracinement dans le pays », analysait Loulouwa al-Rachid. Il va revenir à une stratégie insurrectionnelle.

Hausse des risques terroristes ?

Y aura-t-il plus d’attentats? Ce n’est pas certain. Cela fait plusieurs années déjà que l’EI encourage ses partisans à commettre des attentats partout dans le monde. Les attaques terroristes n’ont jamais cessé, que l’organisation soit faible ou forte, ni au Moyen-Orient contre les forces de sécurité et contre la minorité chiite, ni ailleurs dans le monde.

Une phase de repli… jusqu’à quand ?

La mauvaise passe de l’EI ne doit pas laisser oublier que son ancêtre, Al-Qaïda en Irak, a connu des moments plus difficiles encore, entre 2007 et 2009. L’administration Bush était parvenue à l’affaiblir en finançant des milices sunnites, les Sahwa (« réveil ») dans ses anciens bastions de l’ouest de l’Irak. Lors du retrait de l’armée américaine en 2011, rappelle la journaliste spécialisée Rukmini Callimachi, le groupe ne comptait plus que 700 combattants -soit dix fois moins que l’estimation actuelle. Il était si diminué que la récompense offerte pour la capture d’un dirigeant était passé » de 5 millions à 100 000 dollars.

Mais l’abandon des milices sunnites par le Premier ministre irakien Nouri al-Maliki et sa politique sectaire en faveur de la majorité chiite avait offert un terreau à la propagande d’Al Qaïda en Irak, qui prend le nom d’Etat islamique en Irak et au Levant en avril 2013, un peu moins d’un an avant la proclamation du califat par Abou Bakr el-Baghdadi. « Certains combattants étrangers, des Tunisiens -le contingent le plus nombreux- ont passé 7 ans dans le désert avant que le groupe ne resurgisse en 2013 », rappelle Romain Caillet.

Côté syrien, la reprise de contrôle d’une large partie du territoire par le régime d’Assad au prix d’une répression féroce et d’effroyables bombardements, laisse intacte les facteurs qui ont permis le développement de l’EI. A ces handicaps s’ajoute les métastases de Daech qui ont proliféré sur toute la planète, tandis qu’Al-Qaïda, un temps ringardisé par son frère ennemi, n’a jamais disparu.

Autre bombe à retardement laissée par l’organisation, les enfants: quelque 3000 enfants-soldats selon les experts cités par le Christian Science Monitor, tandis que des dizaines de milliers d’autres ont subi entrainements et endoctrinement des djihadistes, en Irak comme en Syrie.

Panser les plaies de ce vaste territoire en grande partie dévasté constitue un défi incommensurable pour les pouvoirs en place et leurs parrains.