Tchèque : élelctions pleines de surpises

Le milliardaire Andrej Babis a remporté une large victoire aux législatives tchèques de vendredi et samedi, avec son discours anticorruption et anti-euro.

La vague de rébellion populiste qui traverse l’Europe d’Ouest en Est et du Nord au sud, continue de frapper. Ce samedi, c’est à Prague qu’elle est venue bousculer l’ordre des partis traditionnels, lors de législatives qui ont vu l’Association pour des citoyens mécontents (ANO) du milliardaire Andrej Babis l’emporter haut la main sur tous les autres partis, avec quelque 30 % des suffrages. Ce samedi, cet homme d’affaire rusé – qui promet de nettoyer les écuries politiques de la corruption et de lutter plus efficacement contre le diktat de Bruxelles, mais sur lequel pèse une mise en examen pour détournement de subventions européennes et une enquête sur sa supposée collaboration avec la police politique à l’époque communiste – est arrivé grand vainqueur du scrutin.

L’autre «surprise» du scrutin a été la percée très substantielle du parti d’extrême droite SPD et de son chef Tomio Okamura, un citoyen nippo-tchèque qui a engrangé plus de 11 % des voix – un résultat qui le met à égalité avec le parti conservateur de la Démocratie civique ODS (11 %), seul parti traditionnel à ne pas s’effondrer contrairement au parti social démocrate CSSD. Ce dernier, qui dominait le précédent gouvernement, subit une écrasante défaite avec un score divisé par trois, en comparaison avec les précédentes élections (à peine plus de 7 %). Les communistes ont également perdu des points, plafonnant à 8 %.

Ce samedi après-midi, à l’hôtel Czechie, c’est un Okamura réjoui et se sentant pousser des ailes, qui s’est présenté devant les caméras en compagnie d’invités de son mouvement venus de toutes les provinces du pays pour l’acclamer. «Je voudrais remercier tous les citoyens de République tchèque qui ont voté pour nous. Je suis heureux que nos idées et notre programme qui visent à introduire la démocratie directe, à arrêter l’islamisation de la République tchèque et à stopper tout accueil de migrants aient bénéficié d’un si grand soutien», a-t-il lancé, notant que son score était d’autant plus inespéré que la presse avait été «très partiale» à l’encontre de son mouvement, «mentant à son sujet et ne l’invitant que très rarement sur les plateaux».

Alliance

Okamura a également insisté sur son intention de promouvoir l’idée d’un référendum de sortie de l’Union européenne, comme l’une de ses premières priorités. Il s’est déclaré favorable à la mise en place d’un modèle d’armée territoriale défensive semblable à celui de l’armée suisse ou autrichienne, expliquant vouloir aller potentiellement à terme vers une sortie de l’Otan! Il a aussi exprimé son approbation du retour de la Crimée dans le giron russe, et défendu l’idée d’une bonne relation avec Moscou, un discours rappelant beaucoup celui de Marine Le Pen, pour laquelle il a dit «son amitié». Les reporters tchèques présents se disaient inquiets et choqués du résultat de l’élection, s’étonnant de la force de la vague populiste «alors que le pays va bien économiquement», et du succès des slogans anti-islam et anti-immigration d’Okamura. «Il n’y a pas de musulmans dans ce pays, comment peut-on parler de l’islamisation, s’interrogeait la journaliste de télévision Anna Kadava. «Ce qui est inquiétant chez tous ces populistes, c’est qu’ils n’ont pas de principes ; ils iront dans le sens du vent, par opportunisme», notait pour sa part le journaliste de la télévision tchèque Jiri Vaclavek. Un vieux journaliste, auteur d’un site web, se refusait toutefois à valider cette vision critique, expliquant que le terme populiste était trompeur et que le vote actuel exprimait plutôt le désir de sanctionner des élites qui ne pensent plus au peuple.

La grande question qui se pose est de savoir quelle approche va désormais avoir l’homme d’affaires Babis, dans ses négociations avec les autres formations en lice. Ira-t-il vers une alliance avec les conservateurs traditionnels de l’ODS, option qui indiquerait sa volonté de calmer le jeu et de pratiquer un euroscepticisme musclé, mais plus prudent qu’annoncé? L’ODS a commencé par dire qu’une coalition avec Babis était hors de question, mais une source informée, qui participe apparemment depuis des semaines à des négociations en coulisses entre ANO et la Démocratie civique, affirmait le contraire. S’il échoue à s’entendre avec les conservateurs, Babis pourrait chercher alliance avec d’autres partis, dont le SPD d’Okamura, qui est resté très flou sur ses conditions, décrivant une situation «complexe» et ouverte. Le milliardaire pourrait aussi décider de gouverner avec un «gouvernement minoritaire» en s’appuyant au coup par coup sur tel ou tel partenaire. Quelque neuf partis ont rejoint le parlement, un nombre record dans l’histoire de la République tchèque. Ce qui veut dire qu’une négociation faite de grands marchandages s’est ouverte tous azimuts, «une spécialité locale qui pourrait durer», à en croire un diplomate européen.

Parmi les autres partis ayant réussi une percée, il faut noter le très beau score du parti anti système Piraty, une formation pro-européenne, qui prône la démocratie directe et l’utilisation d’internet pour favoriser la transparence politique, et qui a rassemblé beaucoup de jeunes. Les chrétiens démocrates, les Maires et indépendants, et enfin Top 09, une formation dirigée par un ancien proche de Vaclav Havel, accèdent aussi à la chambre des députés, passant de justesse le seuil des 5 %. «Il paraît difficile de savoir ce qui va sortir de tout ça. Avec la présence de nombreux partis antisystème, on pourrait entrer dans une période de grande instabilité», prédisait vendredi Eric Tabery de la revue Respekt.