Catalogne : la nouvelle crise qui embarrasse l’UE

Alors que l’UE doit gérer la sortie du Royaume-Uni, une autre crise vient bousculer l’institution : la déclaration d’indépendance de la région catalane.

Bruxelles, qui soutient le gouvernement espagnol, rechigne cependant à jouer les médiateurs.

« L’Europe a de nouveau le vent en poupe », s’enthousiasmait le président de la Commission européenne, Jean-Claude Juncker, lors de son discours de rentrée à la mi-septembre. À l’époque, il y a quelques semaines seulement, l’Union européenne (UE) espérait enfin entrevoir l’issue d’une décennie de crises existentielles. Après avoir survécu à la crise financière de 2007 et évité un départ de la Grèce de la zone euro en 2015, l’Union comptait sur la baisse du chômage et la reprise économique naissante pour surmonter les défis liés à la crise migratoire et mener les difficiles négociations du Brexit.

C’était sans compter la crise en Catalogne. Une crise d’autant plus gênante pour Bruxelles qu’elle ne l’a absolument pas anticipée. Les indépendantistes catalans préparaient pourtant leur référendum d’autodétermination depuis des années. « Ce problème s’annonçait depuis longtemps mais il n’a pas reçu l’attention requise » à Bruxelles, résumait ainsi Stefani Weiss, directrice du bureau bruxellois de la Fondation Bertelsmann, dans un récent entretien à l’AFP.

Depuis le début de la crise, l’embarras de l’Union européenne est palpable : silencieuse jusqu’à la tenue du référendum, le 1er octobre dernier, la Commission européenne est finalement sortie de sa réserve au lendemain du scrutin, après les échauffourées entre électeurs indépendantistes et policiers, pour souligner que « la violence ne peut jamais être un instrument en politique », par la voix de son porte-parole, Margaritis Schinas. Tout en prenant soin, pour ne pas froisser Madrid, de rappeler que le référendum n’était « pas légal » au regard de la constitution espagnole, et a appelé « tous les acteurs pertinents à passer rapidement de la confrontation au dialogue ».

La question catalane délibérément réduite à un « débat hispano-espagnol »

Après la déclaration d’indépendance du parlement de Catalogne, vendredi 27 octobre, Bruxelles a réitéré son appui aux autorités de Madrid au nom du « respect » de la constitution espagnole. « Pour l’UE, rien ne change. L’Espagne reste notre seule interlocutrice », a ainsi assuré Donald Tusk, le président du Conseil de l’UE, qui représente les 28 États membres. « Nous n’avons pas à nous insérer dans ce débat hispano-espagnol, mais je ne voudrais pas que demain l’Union européenne se compose de 95 États membres. L’Union européenne n’a pas besoin d’autres fissures, d’autres fractures », a réagi, de son côté, Jean-Claude Juncker, en déplacement en Guyane aux côtés du président français Emmanuel Macron.

Avec la déclaration d’indépendance unilatéralement proclamée par le parlement de Catalogne, deux principes fondamentaux du droit international sont mis en concurrence : d’une part, le droit des peuples à disposer d’eux-mêmes, revendiqué par les indépendantistes qui estiment que leur liberté d’expression, notamment, a été bafouée, d’autre part, le principe de l’intangibilité des frontières, défendu par le pouvoir central espagnol. Le choix de Bruxelles de faire bloc derrière Madrid n’est pas une surprise : même les pays les plus décentralisés de l’Union craignent qu’un précédent catalan inspire d’autres régions séparatistes, déclenchant une réaction en chaîne qui rendrait in fine l’UE ingouvernable. Une hantise ainsi formulée par l’eurodéputé espagnol Esteban González Pons : « Si aujourd’hui vous laissez la Catalogne briser l’unité de l’Espagne, cela déclenchera un effet domino sur tout le continent. Au lieu d’une Europe à bientot 27, nous aurons une non-Europe de mini-États ».

Jouer la carte de la médiation ? L’UE y rechigne. Pressée une nouvelle fois, vendredi, par le parlement catalan « d’intervenir pour arrêter la violation des droits civiques et politiques » attribuée à Madrid, l’UE a opposé une fin de non-recevoir. Pour Bruxelles, accepter un rôle de médiateur reviendrait à donner de la légitimité aux indépendantistes catalans… et à envoyer un signal encourageant aux mouvements séparatistes en Europe.

Et si, contre toute vraisemblance, l’indépendance de la Catalogne finissait par être reconnue, que prévoient les traités en cas de scission d’un territoire au sein d’un État membre ? Aux termes de la position juridique dite « doctrine Prodi », du nom de Romano Prodi, l’ancien président de l’exécutif européen, un État né d’une sécession au sein de l’UE n’est pas automatiquement considéré comme faisant partie de l’Union. La Catalogne devrait donc « se porter candidate pour devenir un membre de l’Union », puis des négociations seraient engagées pour une intégration, après un feu vert à l’unanimité des États membres. Un scénario improbable et complexe qui confirme que Bruxelles a tout intérêt à reléguer le bras de fer entre Barcelone et Madrid à une simple « affaire intérieure » espagnole.

Lien