Mardi 14 novembre une double perquisition dans l’affaire de la cimenterie syrienne de Lafarge a été faite par les polices belge et française.
La compagnie en question est accusée par la justice française d’avoir financé à raison de plusieurs dizaines de milliers de dollars des groupes armés, dont celui de l’Etat islamique, en 2013 et en 2014.
A Paris, c’est au siège du groupe franco-suisse que les policiers se sont présentés. A Bruxelles, la police fédérale a perquisitionné les locaux du Groupe Bruxelles Lambert (GBL), le deuxième actionnaire de LafargeHolcim (9,43 %) derrière le milliardaire suisse Thomas Schmidheiny (11,4 %).
La holding contrôlée par Albert Frère et la famille canadienne Desmarais a indiqué dans un communiqué que ses locaux de l’avenue Marnix avaient été perquisitionnés et qu’il coopérait « pleinement à l’enquête liée aux activités de Lafarge en Syrie« . Selon une source judiciaire citée par l’AFP, « les enquêteurs cherchent à savoir si Groupe Bruxelles Lambert aurait pu être au courant des agissements du cimentier en Syrie« .
Rester à tout prix en Syrie ?
L’affaire avait été rendue publique en juin 2016 par le quotidien français Le Monde. Elle a trait à des pratiques de bakchich à des groupes armés en Syrie pour garantir la sécurité des employés de la Lafarge Cement Syria (LCS). La cimenterie venait à peine d’être mise en activité lorsque la guerre syrienne avait débuté.
Construite à Jalabiya, à 87 km de Raqqa, la cimenterie s’était retrouvée entre plusieurs lignes de front, tenues par des rebelles kurdes, l’Armée syrienne libre, le Front al-Nosra (lié à Al Qaïda) puis plus tard, en 2014, par l’Etat islamique.
Lafarge était en contact régulier avec les autorités françaises, dont le Quai d’Orsay, entre 2011 et 2014, pour jauger de la sécurité du site. Malgré les combats qui se rapprochaient, la direction locale de l’usine, soutenue par les dirigeants du groupe, a pris le parti de maintenir l’usine en activité « afin de conserver un avantage stratégique dans la perspective de la reconstruction du pays« , affirmait Le Monde en septembre dernier, sur base de l’enquête des douanes françaises.
20 000 dollars par mois à Daech
Pour rester en place, Lafarge (qui fusionnera avec le suisse Holcim en 2015) a payé plusieurs centaines de milliers d’euros à plusieurs groupes armés, dont environ 20 000 dollars par mois à l’Etat islamique. Un homme d’affaires syrien, Firas Tlass, fils de l’ancien ministre de la Défense du président Hafez al-Assad, était chargé de jouer les entremetteurs.
Daech a finalement attaqué la cimenterie le 19 septembre 2014, faisant fuir ses derniers employés. Les expatriés avaient, eux, été évacués dès juillet 2012.
Tout cela pourrait tomber sous l’accusation de financement du terrorisme et de violation du régime des sanctions imposées en octobre 2013 par le Conseil européen à l’égard de certains groupes terroristes.
Selon l’AFP, les enquêteurs français soupçonnent aussi LCS de s’être, sous couvert de faux contrats de consultants, approvisionné en pétrole auprès de l’EI qui avait pris, à partir de juin 2013, le contrôle de la majorité des réserves stratégiques en Syrie.
L’affaire a aussi provoqué des remous au sein de l’actionnariat de Lafarge qui a remercié Eric Olsen, le patron du groupe en avril 2017. Deux représentants de GBL, Paul Desmarais junior et le Belge Gérard Lamarche, siègent au conseil d’administration du groupe cimentier.
En mars dernier, LafargeHolcim a reconnu ses pratiques « inacceptables » en Syrie et annoncé la création d’un Comité éthique, intégrité et risques. Firas Tlass a été interpellé le 19 octobre à Dubaï dans une sombre affaire d’emprunt non remboursé. Sa sœur, toujours actionnaire comme lui de LCS, dénonce une cabale.