Un avis de la Commission des lois du Sénat critique l’action du gouvernement sur l’immigration et prédit qu’il «sera dans l’incapacité de tenir ses engagements en matière d’éloignement» des clandestins.
«Dans le projet de loi de finances pour 2018, environ 14.500 éloignements forcés sont budgétés, soit moins que sous le mandat de François Hollande (15.161 éloignements forcés en 2014, 15.485 en 2015)». Le sénateur Les Républicains (LR) du Rhône, François-Noël Buffet, jette un sérieux pavé dans la mare migratoire en publiant, ce mercredi 23 novembre, son dernier avis budgétaire sur l’immigration, l’asile et l’intégration des étrangers en France.
Ce rapport de 60 pages, truffé de chiffres et de graphiques, pointe l’incroyable distorsion entre le discours et la réalité sur ce sujet hypersensible pour le gouvernement. La Commission des lois de la Haute Assemblée présidée par Philippe Bas considère ainsi que «si le Président de la République a annoncé, le 15 octobre 2017, son intention d’expulser les étrangers en situation irrégulière ayant commis un délit, son gouvernement n’y consacre pas les moyens nécessaires.»
Pour le sénateur Buffet, «la lutte contre l’immigration irrégulière constitue, une nouvelle fois, le parent pauvre» de la politique migratoire. Cet avocat de formation a glané les chiffres qui dérangent: «92.076 mesures d’éloignement ont été prononcées en 2016 et seules 18 % d’entre elles ont été réellement exécutées, soit par un éloignement spontané, soit par un éloignement aidé, soit par un éloignement forcé. Pour cette seule année 2016, 75.587 personnes se sont maintenues sur le territoire français malgré la mesure d’éloignement prononcée à leur encontre.»
Selon lui, «les éloignements forcés exécutés ont baissé entre 2015 et 2016 : ils sont passés de 15.458 (soit 17,40% des mesures d’éloignement prononcées) à 12.961 (soit 14,08% des mesures d’éloignement prononcées).» «Pas de quoi pavoiser pour les prédécesseurs de Gérard Collomb à Beauvau», ironise le député LR des Alpes-Maritimes, Éric Ciotti, qui ne s’estime guère surpris par les conclusions de son collègue du Sénat.
La justice libère trois fois plus qu’avant
Les causes de «l’échec» de la politique d’éloignement sont analysées. «Depuis 2016, le juge des libertés et de la détention n’intervient plus après cinq jours de rétention mais après 48 heures. Dans les faits, les services de l’État n’ont pas suffisamment de temps pour constituer un dossier étayé, ce qui conduit souvent le juge à prononcer la fin de la rétention.» Ainsi, «en 2017, 19,30 % étrangers placés en Centre de rétention administrative (CRA) ont été libérés dès les quarante-huit premières heures de rétention, alors qu’en 2016 seuls 6,35 % des retenus avaient été libérés pendant les soixante-douze premières heures de rétention.» En clair: la justice libère trois fois plus qu’avant.
Par ailleurs, «les moyens des services en charge des éloignements forcés sont insuffisants.» Occupées à bloquer la frontière au sud notamment, les forces de l’ordre ont vu se dégarnir leur dispositif dédié aux missions d’expulsion. Le rapporteur Buffet est catégorique: «L’action de la direction centrale de la police aux frontières (DCPAF) a en effet été réorientée vers le rétablissement des contrôles aux frontières intérieures (environ 4500 effectifs ), au détriment de la politique d’éloignement (environ 1500 effectifs pour la gestion des centres de rétention administrative et 300 pour les reconduites à la frontière)».
62% des clandestins refusent la prise d’empreintes
Pour expulser un étranger en situation irrégulière, encore faut-il que son pays d’origine veuille bien le reprendre en délivrant l’indispensable «laissez-passer» consulaire. Or sur les sésames délivrés, «moins de la moitié (…) (46,20 %) ont été délivrés dans des délais utiles à l’éloignement en 2016», écrit François-Noël Buffet. Il révèle que «seuls 11,8 % des laissez-passer consulaires ont été délivrés dans les temps par le Mali, 17,2 % dans le cas de l’Égypte et 48 % dans celui de l’Algérie».
Selon lui, «certains pays comme le Maroc, la Tunisie ou le Pakistan, refusent l’éloignement groupé de plusieurs de leurs ressortissants, ce qui complexifie encore les procédures.» D’où la récente nomination d’un ambassadeur chargé des migrations pour faire avancer ce dossier. «La tâche s’annonce ardue», prédit le sénateur.
Il affirme également que «les mesures de transfert prises sur le fondement des accords de Dublin connaissent de graves difficultés, tant au niveau européen qu’au niveau national.» Ainsi, «seuls 23 % des franchissements irréguliers d’une frontière extérieure de l’Union font-ils l’objet d’un prélèvement d’empreintes digitales.» Par ailleurs, «au niveau national, 62 % des étrangers interpellés par la direction centrale de la police aux frontières (DCPAF) refusent que leurs empreintes soient recueillies.»
Le Sénat ne s’interroge même plus: dans un tel contexte, estime-t-il, «le Gouvernement sera dans l’incapacité de tenir ses engagements en matière d’éloignements forcés». Pour 2017, le ministère de l’Intérieur est plus que jamais attendu sur les résultats.