La France et d’autres Etats européens ont dénoncé la traite des êtres humains visant les migrants en Libye. Les associations dénoncent un cynisme et une schizophrénie…
« Tout était parfaitement connu des États qui s’indignent aujourd’hui. On nage en pleine schizophrénie ». Jean-François Dubost, responsable du programme « protection des populations » au sein d’Amnesty, peine à cacher son exaspération. Comme lui, l’immense majorité des bénévoles associatifs qui aident et accompagnent les migrants dénoncent l’hypocrisie des dirigeants européens suite à la diffusion le 17 novembre sur CNN d’un reportage sur l’esclavage des étrangers en Libye.
Pendant des mois, Médecins sans frontières (MSF), Amnesty, SOS Méditerranée, le Haut-Commissariat aux réfugiés de l’ONU et même la procureure de la Cour pénale internationale (CPI) ont tenté d’alerter les autorités politiques sur les violations systématiques des droits des réfugiés en Libye. En vain. Il aura fallu les images violentes, venues d’un autre âge, de jeunes hommes mis aux enchères pour interpeller les chefs de gouvernement.
Des accords de coopération avec la Libye
En juillet dernier, les ministres européens de l’Intérieur ont décidé de renforcer le partenariat avec la Libye afin de stopper l’exil en direction des côtes italiennes. Cela faisait déjà pourtant plus d’un an que l’ONU avait alerté la communauté internationalesur « l’exploitation par les autorités, les groupes armés et les passeurs de milliers de migrants, dont beaucoup font l’objet de détentions arbitraires prolongées, de travail forcé, d’extorsion, de trafic et de violence sexuelle ».
« L’indignation, c’est très bien dans l’absolu. Mais ils étaient au courant et coopéraient avec ce pays. La volonté d’endiguer le flux migratoire était plus forte », dénonce Eva Ottavy, responsable des solidarités internationales à la Cimade. « C’est vraiment surprenant de voir leur réaction. Médecins sans frontières est présent dans les centres de détention libyens depuis juin 2016 et nous avions porté à la connaissance des autorités la situation alarmante des migrants détenus », ajoute Hassida Hadj-Sahraoui, chargée d’affaires humanitaires et du dossier « migrations » au sein de l’ONG.
Une « exploitation généralisée »
Tous les acteurs présents sur place s’accordent lorsqu’il s’agit de dépeindre le chaos Libyen. « Les récits des migrants passés par ce pays sont terriblement similaires et les violences touchent tout le monde », détaille Jean-François Dubost d’Amnesty. « Certains nous ont raconté que des fermiers se rendaient directement dans les centres de détention et demandaient aux gardes d’acheter des jeunes hommes pour les faire travailler sur leurs exploitations (…) D’autres ont été torturés par les gardes en échange de rançon demandées à leurs proches restés au pays. On assiste à une exploitation généralisée sous couvert de lutte contre l’immigration illégale », poursuit Hassida Hadj-Sahraoui d’MSF.
« Les récits des réfugiés qui sont très difficiles à obtenir à cause du traumatisme font état de détention arbitraire, de viols systématiques sur les femmes et de plus en plus sur les hommes, d’exécutions sommaires », conclut Eva Ottavy de la Cimade. Peu formées, débordés par l’afflux des migrants venus du Soudan, d’Erythrée ou du Nigéria, les autorités libyennes se seraient rendues complices de « milices privées », de « milices tribales » et de «réseaux mafieux de passeurs» assurent les associations.
« On demande plus de cohérence »
Dans le même temps, la France à travers la voix de l’Ofpra, l’office en charge de la protection des réfugiés et demandeurs d’asile a insisté sur son «engagement» à l’égard des migrants piégés en Libye. Contacté par 20 Minutes, son directeur général Pascal Brice détaille la mission lancée sous l’impulsion d’Emmanuel Macron : « Nous nous sommes rendus au Niger entre le 15 et le 19 novembre pour entendre 72 personnes originaires de Centrafrique, du Nigéria et du Mali qui relevaient du droit d’asile. Se sont ajoutées les 25 premières personnes évacuées de Libye par le HCR ».
Dès lors que les personnes entendues par les fonctionnaires de l’Ofpra correspondent au droit d’asile et aux critères sécuritaires imposés par le ministère de l’Intérieur, elles pourront rejoindre la France « au plus tard en janvier » précise Pascal Brice. Des évacuations qui interviennent en amont de la traversée de la Méditerrannée et que la France souhaite voir se généraliser.
Un processus positif pour les acteurs humanitaires mais insuffisant. « On demande plus de cohérence. La France doit modifier son discours en matière d’asile et d’immigration et doit cesser de considérer le territoire libyen comme étant sûr. Les politiques mises en place ces dernières années ont tout fait pour éloigner ces personnes de nos territoires. Si aujourd’hui ces gens sont bloqués en Libye, c’est parce qu’on a tout fait pour ! », explique le militant d’Amnesty.