Donald Trump Jr. – maillon fable dans la chaîne du pouvoir de son père

Selon CNN, l’enquête parlementaire sur les soupçons de collusion entre l’équipe de campagne de Donald Trump et la Russie a découvert que WikiLeaks avait envoyé à Donald Trump Jr une clé de déchiffrement pour accéder à des documents piratés.

Corentin Sellin, professeur et animateur du blog « Il était une fois en Amérique », revient sur ces révélations pour Paris Match.

Paris Match. Donald Trump Jr avait confirmé les échanges avec WikiLeaks, mais les révélations de CNN sur l’enquête parlementaire prouvent que c’est allé plus loin que cela avec l’envoi par mail d’une clé de déchiffrement pour lire les documents. A-t-il été pris en flagrant délit de mensonge ?

Corentin Sellin. Sinon de mensonge, en tout cas d’omission caractérisée. Il y a surtout une tendance chez Donald Trump Jr à soutenir une version, revenir dessus puis dire qu’il ne se souvient pas. L’exemple avec les échanges avec WikiLeaks : Donald Trump Jr n’en avait pas parlé auparavant et avait pourtant fait savoir à la campagne, dont son beau-frère Jared Kushner, qu’il était en contact avec WikiLeaks. Or, Kushner avait nié qu’il y ait eu le moindre lien entre WikiLeaks et la campagne Trump.
Aujourd’hui est un nouvel épisode : la réponse de Donald Trump Jr par rapport à ce nouvel élément est de dire qu’il n’avait pas vu le mail. C’est très bizarre car l’expéditeur avait son mail, qui n’était pas en accès libre et direct, et lui a écrit quelques semaines après les conversations en privé sur Twitter avec WikiLeaks qui demandait comment l’organisation pouvait être utile à la campagne. On voit bien qu’au fur et à mesure qu’on en apprend, sa défense tombe et il revient à dire qu’il n’avait pas vu ou qu’il avait oublié.

Pour la première fois, Donald Trump est dans la boucle de ce mail, même si c’était sur une adresse qu’il ne semblait pas beaucoup utiliser.

Il faut bien faire attention, ce mail était visiblement très peu utilisé. Les enquêteurs du Congrès l’ont exhumé et ont fait le lien entre le courriel et lui car il était en copie. Mais ce qui est important, c’est qu’on voit qu’il y a une relation étrange entre le fils et le père : le premier, clairement, a pris des initiatives très malheureuses et qui apparaissent aujourd’hui très soupçonnables en terme de collusion avec la Russie, comme l’entrevue du 9 juin avec l’avocate russe Natalya Veselnitskaya, ou les échanges avec WikiLeaks sur Twitter. On a l’impression qu’à chaque fois, Donald Trump n’est pas nécessairement informé des initiatives de son fils mais qu’elles l’amènent à faire peut-être des actes inconsidérés pour le couvrir.

On l’a vu dans le cas de l’entretien avec l’avocate, puisque Donald Trump a publié un communiqué très mensonger alors qu’il est président et qui est, d’après ce que l’on en sait, dans le viseur du procureur Mueller puisqu’il s’agirait d’une tentative d’entrave à la justice. Sur le cas WikiLeaks, on peut douter que Donald Trump lui-même ait été au courant, mais il est entraîné par les gaffes de son fils.

Quelques semaines après que son fils a entretenu le contact avec WikiLeaks, même s’il n’y a pour l’instant aucun lien entre les deux il faut le rappeler, on a un homme mystérieux qui a envoyé la clé de déchiffrement pour accéder aux données de WikiLeaks. Et beaucoup d’entre elles étaient des courriels piratés, certains par des hackeurs russes. C’est extrêmement ennuyeux pour Trump car il est aspiré, alors qu’il n’y a pas forcément collusion active, par les gaffes de son fils.

«Donald Trump Jr est le maillon faible»

On s’est beaucoup intéressé à Jared Kushner et son rôle important. Mais au final, Donald Trump Jr ne serait-il pas le maillon faible de la campagne sur les soupçons de collusion ?
Clairement et pour une bonne et simple raison : Kushner avait un rôle politique très important durant la campagne, notamment celui de superviser la campagne numérique et la coopération avec la firme de big data Cambridge Analytica, c’est lui qui a eu la main sur les publicités anti-Clinton sur internet, il a eu un rôle crucial. Donald Trump Jr avait un rôle important, mais qui tenait plus à son lien familial, et il a ensuite été sorti de l’appareil politique une fois l’élection passée, contrairement à Kushner. Son rôle, une fois Trump élu, était justement de s’occuper de tout ce qui n’était pas politique, gérer le business familial. On voit bien qu’il avait été un peu exfiltré de la campagne politique après l’investiture, même s’il a fait partie de l’équipe de transition.

Beaucoup d’observateurs le remarquent, Donald Trump Jr a toujours vécu dans l’ombre de son père, avec la volonté de se faire remarquer de lui, et on peut, sans tomber dans la psychologie de bazar, voir qu’il a tenté de trouver sa place dans une campagne où il n’avait pas de rôle politique, qu’il était prêt à tout pour aider son père et se faire remarquer de lui. Le problème, c’est que ça l’a sans doute mené à prendre des initiatives très inconsidérées. De manière très claire, Donald Trump Jr est le maillon faible.

On voit bien que dans l’itinéraire du procureur Mueller, on pensait que Kushner serait le prochain, mais ça pourrait très bien être Trump Jr. Il n’a eu affaire qu’à la justice parlementaire, certes efficace, mais qui dispose de moins de moyens et qui a moins l’aspect dissuasif et terrifiant de la justice fédérale, des inculpations et de l’emprisonnement. Il peut être très tentant pour Mueller de cibler maintenant le fils Trump qui ment, qui s’enferre, qui oublie, et qui apparaît comme la pièce faible du dispositif.

À la lumière de ces échanges avec WikiLeaks, on a pu relire certains tweets de Donald Trump et de son fils et y voir un nouvel aspect, notamment ceux dans lesquels ils sous-entendent que des révélations sur Hillary Clinton sont à venir avant même leur publication par WikiLeaks.

C’est en ça qu’à mon avis Trump Jr va être dans le viseur de Mueller : c’est sur Trump Jr que le terme de «collusion», qui n’est pas juridique mais sur lequel porte l’enquête Mueller, apparaît le plus net. Il y a eu des contacts répétés avec des Russes, sur lesquels il a menti, comme sur les conséquences de la réunion du 9 juin 2016 avec l’avocate russe : contrairement à ce qu’il a dit, il y a bien eu des suites. On voit bien qu’il y a une correspondance entre ce que lui apprend WikiLeaks et ce dont il se sert pour la communication de la campagne, et son père aussi. La collusion est indirecte, puisqu’on parle de WikiLeaks et non de la Russie directement, mais beaucoup des éléments produits par WikiLeaks étaient issus du piratage russe.

« Plus l’étau se referme, plus le renvoi de Flynn va être envisagé »

Trump semble pour l’instant occupé par d’autres dossiers comme Jérusalem ou Roy Moore. Va-t-il apprendre les leçons de sa précédente réaction aux révélations de son fils ?

Trump a trois options stratégiques à chaque fois qu’il y a une révélation comme celle-ci ou celle de la semaine dernière sur Flynn. La première option, la plus rationnelle et celle que lui conseillent certainement les avocats de la défense, c’est de ne pas s’exprimer publiquement et de ne surtout pas tweeter. Il adopte comme mécanisme de défense de dire qu’il n’y a rien, que le président n’est pas concerné. Sur Michael Flynn, c’est ce qu’il a essayé de faire pendant 24 heures mais il n’a pas pu tenir et s’est complètement lâché de façon inconsidérée avec un tweet dans lequel il s’était possiblement incriminé en disant qu’il savait que Flynn avait menti au FBI, 18 jours avant de le renvoyer.

La deuxième option est de mener une guérilla permanente contre Mueller, fondée sur des tweets, de s’adresser à sa base et d’essayer de créer un mouvement populaire conservateur contre Mueller, et c’est ce qu’on voit depuis une dizaine de jours. Très bientôt, ses avocats pourraient remettre en cause la manière dont Mueller mène son enquête, savoir s’il n’a pas étendu de manière indue son champ d’investigation.

La troisième option, que j’ai baptisé la « thermonucléaire » : Trump peut, même s’il a répété que ce n’était pas à l’ordre du jour, demander au numéro deux du ministère de la Justice d’arrêter l’enquête Mueller. Plus l’étau se referme, plus cette option va être envisagée. Il ne faut pas oublier qu’il y a un précédent : Richard Nixon avait ordonné en 1973 au ministère de la Justice de gérer le procureur indépendant qui enquêtait sur le Watergate. On voit bien qu’il s’en rapproche : depuis une semaine, il a critiqué de manière incroyable le FBI et beaucoup d’observateurs y ont vu un prélude possible à une demande de renvoi de Mueller. La manière de critiquer les fédéraux, comme il le fait en établissant le parallèle entre lui et Hillary Clinton, peut être vu comme un dernier avertissement à Mueller. Si jamais ce dernier s’en prend à son fils, on pourrait reparler de cette troisième option. Ca serait une crise institutionnelle majeure et on basculerait dans l’inconnu.

« Le parti républicain est celui de Trump »

Les républicains pourraient-ils, alors qu’ils n’ont qu’une courte majorité au Sénat, se retourner contre Trump ?

Sans verser dans le café du commerce, il faut se souvenir que les républicains, dont le speaker Paul Ryan et certains sénateurs, ont déjà dit que Trump ne devait jamais arrêter l’enquête Mueller. Mais on sait ce que vaut la parole des élus républicains : il y a un an, lorsque l’enregistrement dans lequel Donald Trump se vantait d’agressions sexuelles –il faut appeler un chat un chat–, cela avait provoqué un scandale et de nombreux élus républicains avaient assuré qu’ils ne le soutiendraient plus. Puis ils sont rentrés au bercail, il a gagné, et ils se sont couchés. Avec l’affaire Roy Moore, qui est un décalque parfait de l’affaire Trump, on le voit encore : ils ont menacé de l’expulser du Sénat s’il était élu mais il a suffi que Trump dise qu’il le soutenait, parce qu’il était victime comme lui d’un complot des médias libéraux, pour que les élus se couchent. Pareil il y a trois mois, lorsque tout le monde chantait les louanges du sénateur McCain qui avait sauvé Obamacare : lui et les deux sénatrices (Susan Collins et Lisa Murkowski) qui avaient voté contre l’abrogation directe du système ont fini par voter la réforme fiscale dans laquelle il y a l’abrogation de la pièce centrale d’Obamacare, l’obligation individuelle d’assurance maladie. À chaque fois, les sénateurs et sénatrices républicains sont rentrés dans le rang car le parti républicain est celui de Trump. On en aura un indice mardi en Alabama : si Moore l’emporte, et je le crois, on verra que le parti républicain est bien celui de Trump. Aujourd’hui, l’écart entre leurs paroles contre Trump et leurs actions est tel qu’on peut vraiment douter que leur opposition soit réelle.

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