Les habitants de l’Alabama en ont marre qu’on les accuse de soutenir un pédophile.
Depuis plus d’un mois, les médias américains leur rappellent qu’ils sont sur le point d’élire sénateur un homme accusé d’attouchements sur des mineures dans les années 1970 : Roy Moore, ancien haut magistrat ultra-conservateur, qui a consacré sa vie à défendre la place de Dieu dans la justice et le gouvernement et s’est fait autrefois destituer pour avoir installé une statue des Dix Commandements dans le bâtiment de la cour suprême de l’Alabama.
Mardi, ils devront envoyer au Sénat des Etats-Unis ce personnage controversé ou son adversaire démocrate Doug Jones, ancien procureur fédéral.
Une victoire du démocrate serait un événement jamais vu ici depuis 1992, et réduirait la majorité républicaine dans la chambre haute du Congrès à peau de chagrin : de 52 à 51 sièges sur 100.
Mais dans cet Etat du Sud, où Donald Trump remporta 62% des voix, voter démocrate est impensable pour la plupart des républicains, quand bien même ils croiraient les allégations contre le juge Moore, ce qui est loin d’être acquis. Roy Moore a tout rejeté en bloc et convaincu ses partisans que cette affaire n’était que « fake news » orchestrées par ses ennemis.
Croire ou ne pas croire
Le couple Wright, fringants retraités en baskets, rencontrés dans la banlieue huppée de Mountain Brook, en banlieue de Birmingham, a résolu son cas de conscience: ce sera Moore.
« Je suis désolée, c’est seulement pour bloquer les démocrates », dit Ann, 69 ans. « Les gens doivent penser qu’on est horribles dans l’Alabama, qu’on soutient un pédophile. Bon, mais rien n’a encore été prouvé… »
Neuf femmes ont affirmé que Roy Moore leur avait fait la cour quand elles étaient mineures. Il les abordait au centre commercial de sa ville, Gadsden, ou ailleurs. Deux disent avoir subi des attouchements, dont une à 14 ans.
« Je ne sais pas quoi en penser », continue Ann. « C’est vrai qu’à cette époque, beaucoup d’adolescentes sortaient avec des hommes plus âgés… »
De nombreux républicains pensent comme Ann. Et Roy Moore, après avoir plongé au moment des révélations du Washington Post, est revenu légèrement en tête des sondages.
Quant à ceux qui croient les témoignages contre Roy Moore… une troisième voie existe: inscrire sur le bulletin de vote un nom tiers. C’est ce que fera Laura Strubel, 70 ans, qui a une seule chose à reprocher au démocrate: il est favorable au droit à l’avortement.
« C’est dingue, je suis épuisée d’en entendre parler. Vivement que ça se termine », soupire la retraitée.
Trump, Bannon et les démocrates
A Gadsden, le centre commercial est toujours là, bondé deux semaines avant Noël. Il n’est pas difficile d’y croiser des gens connaissant Roy Moore. Linda Fain, bibliothécaire, a dîné autrefois avec les Moore. « C’est un homme bien », jure-t-elle.
Mais les jeunes ne sont pas aussi indulgentes vis-à-vis de comportements désormais considérés comme – au minimum – déplacés. Dans l’Alabama, le groupe des jeunes républicains a d’ailleurs rompu avec Roy Moore, quand le reste du parti serrait les rangs.
Au salon de coiffure, la gérante a 21 ans, une jeune femme assurée qui lève les yeux au ciel à la mention de Roy Moore. Emma Howell assure qu’il a brisé l’automatisme du vote républicain parmi sa génération. « Les gens se rendent compte qu’ils ne sont pas obligés de voter républicain », dit-elle.
Il est indéniable que Roy Moore a malgré lui dopé l’enthousiasme des démocrates, jusque-là une espèce en voie de disparition dans le Sud.
C’est pourquoi Stephen Bannon, gardien autoproclamé du « trumpisme », présente le scrutin de mardi comme un choix entre Donald Trump et Hillary Clinton, particulièrement honnie localement. Et le risque politique explique que Donald Trump, après de longues tergiversations, ait fini par lancer un très clair: « votez Roy Moore ! »
Les démocrates savent la mission quasi impossible. Face aux Blancs évangéliques (environ la moitié des électeurs), ils devront faire le plein chez les Noirs (environ un quart) et persuader des républicains de trahir leur camp.
Mais, comme l’a noté Doug Jones en meeting samedi soir, il était tout aussi improbable qu’il neige à Birmingham début décembre. Or la ville était recouverte d’un voile blanc samedi.
« Le temps du changement est arrivé », a-t-il lancé. « Roy Moore a fait assez de mal comme ça à l’image de l’Alabama ».