Elle est loin l’époque où il portait le treillis pour se livrer à des exercices paramilitaires avec des néonazis : à 48 ans, l’ancien « jeune loup » de l’extrême droite autrichienne, Heinz-Christian Strache, enfile l’habit de vice-chancelier après avoir soigneusement poli son image.
Costume-cravate et mine grave : c’est avec les atours d’un homme d’Etat que ce technicien dentaire de formation aux yeux bleus, chef du Parti de la liberté d’Autriche (FPÖ), a prêté serment lundi matin sous les ors du palais de la Hofburg, devant le chef de l’Etat Alexander Van der Bellen.
Un moment de satisfaction tout particulier face au président écologiste libéral qui, il y a moins de deux ans, avait dit qu’il n’envisagerait pas, « en l’état », d’investir au gouvernement ce tribun au passé sulfureux.
Mais celui qui avait débordé son ex-mentor Jörg Haider sur sa droite il y a douze ans, a abandonné les provocations et appris à montrer patte blanche, jusqu’à devenir numéro deux du nouveau gouvernement dirigé par le conservateur Sebastian Kurz (ÖVP).
« Arrivés troisièmes des élections, nous avons fait valoir bien plus de 50 % de positions FPÖ » dans le programme de coalition, s’est félicité M. Strache, au terme de deux mois de négociations menées « d’égal à égal » avec l’ÖVP.
Fréquentable
Satisfaction supplémentaire : malgré son scepticisme affiché envers l’UE et de récentes déclarations selon lesquelles « l’islam n’a pas sa place en Autriche », son entrée au gouvernement en compagnie de sa garde rapprochée ne provoque guère d’émotion en Europe.
« Il n’y aura pas de levée de boucliers massive comme en 2000 », quand l’arrivée au pouvoir du FPÖ de M. Haider avait provoqué l’adoption de sanctions européennes contre Vienne, note le politologue Thomas Hofer.
Heinz-Christian Strache a pris le contrôle du FPÖ en 2005, à 35 ans, après avoir acculé Jörg Haider (qui mourra en 2008 dans un accident de voiture) à quitter le parti et à fonder l’éphémère BZÖ.
Affaiblie par sa participation gouvernementale, la formation a retrouvé des couleurs sous l?impulsion de ce trentenaire habitué des boîtes de nuit et des réseaux sociaux, qui a rajeuni son électorat.
Etre devenu « salonfähig » (fréquentable) n’est pas le moindre succès de ce Viennois, né le 12 juin 1969, issu de la « mouvance néonazie », relève la journaliste Nina Horaczek, qui lui a consacré une biographie.
Après avoir testé différents habillages politiques, jusqu’à présenter une candidate ultranationaliste à la présidentielle en 2010, M. Strache a progressivement poli le discours de son parti, dont il a écarté les caciques les plus encombrants.
Pour Mme Horaczek, le dirigeant a compris qu’il devait « apparaître comme un homme d’Etat » pour imposer son parti dans les urnes.
La stratégie s’est avérée payante : après s’être hissé au second tour de la présidentielle en 2016, du jamais vu, le FPÖ a recueilli 26 % aux dernières législatives, s’imposant comme un partenaire de choix pour M. Kurz.
Joueur d’échecs
Mais M. Strache et son parti n’ont, sur le fond, rien cédé sur leurs fondamentaux xénophobes et eurosceptiques, selon les analystes.
Les allusions régulières au risque d' »invasion de masse » et de « guerre civile » montrent « clairement qu’ils restent radicaux », relève Mme Horaczek. Pour Thomas Hofer, « l’adoption d’un ton modéré relève d’une simple tactique ».
« Je jouais aux échecs avec mon grand-père », a reconnu M. Strache pendant sa campagne électorale, disant « toujours calculer plusieurs coups à l’avance ».
En décrochant six ministères – dont l’Intérieur, la Défense, les Affaires étrangères – le FPÖ réussit le grand roque : il passe de l’opposition aux portefeuilles régaliens et gère désormais « tout le domaine de la sécurité », note M. Hofer.
Mais s’il a renoncé aux slogans ouvertement xénophobes, le FPÖ, un parti créé par d’anciens nazis, n’en reste pas moins « incurable », selon le Comité Mauthausen, une organisation de déportés.
La presse a ressorti des photos datant des années 1980 montrant M. Strache se livrant à des exercices paramilitaires avec des membres du groupuscule néonazi interdit Wiking Jugend. « J’étais stupide, jeune et naïf », a plaidé l’intéressé.