Antoine Griezmann est soupçonné de respect de la tradition rasiste du XIX siècle

Dans une photo postée sur son compte Twitter le 17 décembre, le célèbre footballeur Antoine Griezmann apparaît grimé en joueur de basket noir.

Un « hommage » selon lui, à l’un des Harlem Globetrotters des années 1980. Or cette pratique consistant à se grimer en noir, appelée « blackface » et jugée raciste, a été largement dénoncée par les internautes, car elle renvoie à la période de l’esclavage, de la ségrégation raciale et du colonialisme.

En se déguisant en basketteur noir des Harlem Globetrotters lors d’une « soirée 80’ », la vedette du football français Antoine Griezmann n’imaginait pas déclencher une telle vague d’indignation. La photo, publiée sur Twitter le 17 décembre au soir, est partagée des milliers de fois en quelques minutes, et les internautes sont nombreux à dénoncer un délit de « blackface », une pratique qui consiste à se grimer le visage et/ou le reste du corps en noir, dans le but de ressembler à une personne noire.

« Je reconnais que c’était maladroit de ma part. Si j’ai blessé des gens, je leur présente mes excuses », a écrit Griezmann sur son compte Twitter hier soir, après avoir supprimé le cliché. Un peu plus tôt, il s’était justifié en écrivant: « Calmez-vous les amis. Je suis un fan des Globetrotters et c’était une belle période. C’est un hommage ».

Des explications et une justification qui n’ont pas satisfait les internautes, qui dénoncent une pratique raciste. Dans un billet publié en octobre 2016, à la veille d’Halloween et intitulé « Ma peau, ton costume », la blogueuse Aïcha Bastien N’diaye écrivait : « Sonnez chez mon père le visage peinturé de noir avec une perruque en forme d’afro et osez me dire qu’il devrait rire (…) Ne justifions pas cela par un besoin d’exprimer de l’admiration pour une culture, l’usage de cliché n’a jamais donné de dignité à rien ni personne .»

Pourquoi la blackface est-elle raciste ?

Cette pratique est née aux Etats-Unis dans les années 1820, dans les minstrel shows, spectacles caricaturaux où les acteurs blancs se « déguisaient » en noirs. Ces caricatures avaient pour but de tourner en ridicule les personnes noires, en mettant en avant des stéréotypes des plus dégradants pour faire rire un public composé uniquement de blancs. La plus célèbre blackface est celle de Jim Crow, un clown incarné dans un minstrel shows par un acteur blanc, qui donnera son nom aux lois de ségrégation raciale aux Etats-Unis.

« Dans ces spectacles, les personnes étaient caricaturées comme ignorantes, superstitieuses, feignantes et ridicules. Ces stéréotypes étaient diffusés alors que l’esclavage était encore en place sur le territoire américain, que la ségrégation raciale était mise en place et que le colonialisme était encore en cours en Europe », explique le Collectif « Des Raciné-e-s ».

Ce phénomène se décline ensuite au XXe siècle, dans des films où les acteurs noirs étant absents, les personnages noirs étaient joués par des acteurs blancs grimés. A l’instar des films Le Chanteur de Jazz, où l’acteur Al Jolson apparaît sur grand écran, maquillé de noir, ou encore The Birth of a nation, qui caricature les noirs de façon ouvertement raciste.

L’acte de se peindre en noir convoque donc une histoire douloureuse aux Etats-Unis, mais aussi en France, où l’histoire coloniale française repose sur un imaginaire raciste.

Des blackfaces à répétition

Ce n’est pas la première fois qu’une blackface fait scandale en France. En 2013, Jeanne Deroo, journaliste française du magazine Elle s’était « déguisée en Solange Knowles », faisant réagir les médias jusqu’outre-Atlantique. Elle s’était ensuite excusée en plaidant l’ignorance, tout comme la youtubeuse Shera Karienski, qui, dans le cadre d’un tuto beauté, s’était recouvert le visage de fond de teint destiné aux personnes noires. Les chroniqueurs de l’émission de télévision Touche Pas à Mon Poste, Valérie Benhaïm et Jean-Michel Maire, déguisés en membres du groupe de musique la Compagnie Créole, ainsi que des policiers français ont également été épinglés pour « délit de blackface ».

Bien que largement dénoncées par les associations, des traces de ces représentations racistes subsistent encore, notamment au carnaval de Dunkerque (Nord de la France)   où chaque année, depuis 1969, le groupe des « Noirs » défile dans les rues de la ville grimé de maquillage noir, avec « un pull à col roulé noir, des gants blancs aux mains, un collier d’os autour du cou, une jupe de raphia autour de la taille ».

Se grimer le visage n’est jamais neutre. Comme le souligne sur Slate le sociologue Éric Fassin, en se grimant en noir, on oublie la réalité, « l’expérience brutale » qui est la leur. Dans une tribune intitulée Je ne serai pas votre déguisement d’Halloween, Pierre d’Almeida déclare : « Je ne saurais identifier précisément le moment où j’ai compris que se permettre de se « déguiser en Noir », c’était aussi avoir le privilège de ne pas l’être au quotidien. Quand vous êtes noir-e le temps d’une soirée, vous ne l’êtes pas à un entretien d’embauche, quand vous cherchez à louer un appart, ou quand vous faites vos courses, suivi-e par un vigile ».

En 2014, le Défenseur des droits Jacques Toubon avait recommandé « l’engagement de poursuites disciplinaires », jugeant que les photos de blackfaces postées sur les réseaux sociaux revêtaient un caractère raciste.

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