Après des mois de mises en garde, la Commission européenne pourrait déclencher mercredi une procédure sans précédent contre le gouvernement polonais, resté sourd aux demandes d’infléchir ses réformes judiciaires controversées.
Varsovie est convaincu que la Commission ne se contentera pas de faire un énième bilan d’étape, lors de sa réunion hebdomadaire mercredi, sur les « menaces systémiques » pesant selon elle sur l’indépendance de la justice en Pologne.
Bruxelles « activera probablement » l’article 7 du traité de l’UE, a affirmé la semaine dernière le nouveau Premier ministre Mateusz Morawiecki, en marge d’un sommet européen à Bruxelles, regrettant d’avance une mesure « injuste » contre la Pologne.
Encore jamais utilisée, cette procédure est parfois qualifiée d' »arme nucléaire » parmi les sanctions possibles dans l’UE, car elle peut déboucher, au terme d’une procédure complexe, sur une suspension des droits de vote au sein du Conseil de l’Union, l’instance regroupant les 28.
Dans sa première phase, que pourrait lancer la Commission mercredi, l’article 7 permet de « constater l’existence d’un risque clair de violation grave » de l’Etat de droit dans un pays membre, avec l’aval nécessaire de 22 pays de l’UE.
Mais d’éventuelles sanctions, comme le retrait des droits de vote, ne pourraient intervenir que lors d’une seconde phase, nécessitant pour être lancée un vote à l’unanimité des pays européens (sans celui qui est visé).
La Hongrie ayant déjà indiqué qu’elle y ferait obstacle, l’adoption effective de sanctions paraît improbable. Bruxelles compte cependant sur la portée symbolique du déclenchement de la procédure, qui permettrait d’impliquer tous les Etats membres dans le débat.
Selon la ministre française des Affaires européennes Nathalie Loiseau, sans engagements de dernière minute de Varsovie, « il y a de fortes probabilités » pour que l’article 7 soit déclenché mercredi. « Il faut le faire, la France soutient totalement la Commission dans cette démarche-là », a-t-elle précisé.
La Commission, qui dispose aussi du soutien de Berlin, s’est refusée ces derniers jours à confirmer qu’elle avait pris sa décision.
« Nous n’allons pas rompre tous les ponts avec la Pologne », s’est contenté de déclarer mardi son président Jean-Claude Juncker. « On n’est pas en situation de guerre avec la Pologne, on est dans une démarche difficile et j’espère qu’au bout du compte nous arriverons à nous rapprocher », a-t-il ajouté.
La Commission a plusieurs réformes dans son viseur, dont celle de la justice constitutionnelle polonaise, adoptée en 2016, et celles plus récentes de l’organisation des juridictions de droit commun, de la Cour suprême et du Conseil national de la magistrature.
Pour les deux dernières, le veto surprise du président Andrzej Duda, issu du parti conservateur nationaliste Droit et Justice (PiS) au pouvoir, avait suscité des espoirs. Mais les nouvelles versions de ces textes n’ont pas convaincu l’opposition et les organisations de la société civile polonaise, mobilisées au nom de l’indépendance de la justice.
Engagés il y a plus d’un an, les échanges tendus entre Bruxelles et Varsovie n’ont semblé produire aucun résultat, la Pologne défendant sa liberté d’assainir une magistrature décrite comme une « caste » corrompue.
« Je suis fermement convaincu que les Etats souverains – et l’Europe doit être une Europe des Etats souverains – ont un droit absolu de réformer leurs systèmes judiciaires », a fait valoir M. Morawiecki, resté fidèle à la ligne défendue avant lui à la tête du gouvernement polonais par l’eurosceptique Beata Szydlo.
« Nous avons, avec des fonctionnaires à Bruxelles, des problèmes d’interprétation de ce qui se passe en Pologne, de nos réformes », a déclaré de son côté mercredi le chef de la diplomatie polonaise, Witold Waszczykowski.
Face à cette inflexibilité, la Commission menace depuis des mois de déclencher l’article 7, censé être plus dissuasif que les procédures d’infraction visant déjà Varsovie (notamment sur une de ses réformes judiciaires et pour son refus d’appliquer des quotas obligatoires d’accueil de réfugiés).
Mais bien consciente que la suspension des droits de vote reste une menace théorique, l’UE envisage déjà de nouveaux outils. L’idée circule notamment de conditionner l’accès aux fonds structurels européens au respect des valeurs et des décisions de l’UE.
« Un pays qui dérive par rapport à l’Etat de droit ne peut pas en même temps demander à Bruxelles d?être soutenu par des milliards de fonds de cohésion », dont la Pologne est la principale bénéficiaire, a prévenu la ministre française Nathalie Loiseau.