Démocratie, liberté d’expression, fake news : 2500 ans de cohabitation

Une défense réelle de la démocratie libérale serait d’abolir plutôt les lois liberticides qui s’accumulent contre la liberté d’expression, y compris d’ailleurs celles inusitées qui prétendent lutter contre les fausses nouvelles.

Lorsque l’anglicisme fake news (fausse nouvelle) est apparu, on se doutait bien que, tôt ou tard il allait être utilisé pour une nouvelle loi liberticide sur la liberté d’expression.

Emmanuel Macron ne nous a pas déçus. Sans que rien ne l’exige, sans qu’aucune demande n’émane ni des citoyens, ni des journalistes, il a annoncé lors de ses vœux, une loi destinée à protéger «la démocratie libérale ». La raison évoquée est intéressante car elle s’appuie sur un point sensible : la relation entre la démocratie et la liberté d’expression.

On classe traditionnellement les arguments en faveur de la liberté d’expression en trois grandes catégories :

  • une catégorie libérale : la liberté d’expression est un droit individuel, naturel indispensable à la réalisation de chaque vie humaine ;
  • une catégorie utilitariste : la liberté d’expression est nécessaire à la recherche de la vérité ;
  • et enfin une catégorie démocratique : la liberté d’expression est un processus indispensable à la démocratie.

L’argument démocratique est le plus limité, il n’est pertinent que pour un régime particulier et ne concerne que le débat politique mais il est le plus ancien, et compte tenu de l’importance de la démocratie dans la société moderne, le plus accepté sur l’ensemble du spectre politique.

Les arguments démocratiques ne s’opposent pas aux arguments libéraux ou de recherche de la vérité, même s’ils partent d’un autre point ; ils viennent se sur-rajouter pour le périmètre limité du débat politique dans une démocratie.

Avec Solon puis Périclès, l’Athènes de l’ère classique (Ve siècle av. J.-C.) invente un concept qui a de l’avenir, le gouvernement du peuple par le peuple : la démocratie (de dêmos, le peuple et de kratos, le pouvoir).

Et loi des séries oblige, les Grecs en inventant la démocratie directe sont aussi obligés d’inventer une forme de liberté d’expression.

Comment débattre des problèmes de la cité – et trouver les meilleures solutions -, si les citoyens ne sont pas libres d’exprimer leur pensée et de débattre sans crainte ? Si la déférence à une hiérarchie sociale empêche les solutions optimales d’être connues publiquement ?

Cette liberté d’expression politique n’est donc pas vue, comme elle le sera plus tard, comme une limitation du pouvoir politique sur les citoyens, puisque les citoyens et le pouvoir politique pour les Athéniens de Périclès sont une seule et même chose.

Elle n’est pas non plus vue comme un droit individuel, fondamental et inaliénable pour chaque personne, mais simplement comme une pratique indispensable dans le cadre de la démocratie directe, visant à la bonne gouvernance de la cité.

Avec l’Isêgoria (de Iso : « égalité » et de Agoraomai : « Parler devant une assemblée », l’égalité de parole dans le débat public donc) chaque citoyen pouvait se lever et prendre la parole devant l’assemblée (l’Ecclésia). Et le citoyen grec était bavard : il pouvait y avoir entre 200 et 300 discours à chaque session de l’assemblée, limitée par le Clepsydre, la fameuse horloge à eau.

L’expérience athénienne ne sera pas oubliée. Même lorsque sa taille (Moins de 300 000 habitants) comme sa radicalité (démocratie directe totale) éloignent sensiblement Athènes d’un État-nation moderne (des millions d’habitants et une démocratie représentative libérale), Athènes reste le point de départ de beaucoup de réflexions sur la démocratie et la liberté d’expression.

Dans l’idéal démocratique – et ses concepts de peuple souverain, gouvernement du peuple, par le peuple, pour le peuple -, la liberté d’expression a trois fonctions.

La première fonction est de permettre au peuple d’être correctement informé des faits nécessaires à la bonne prise de décision. Lorsqu’un monarque a le pouvoir, il ne se fait pas censurer des informations ou des opinions, même inconvenantes ou pouvant être fausses, permettant de prendre les bonnes décisions.

Lorsque le peuple a le pouvoir, on ne voit pas comment il pourrait faire ce même travail avec des informations tronquées ou limitées. Les informations connues de l’orateur doivent être disponibles pour exercer le pouvoir.

Ici, la liberté d’expression n’est pas au service de l’orateur, bien que ce soit lui qui s’exprime, la liberté d’expression est au service du public qui écoute : il a besoin des connaissances non censurées de l’orateur ou, lorsque l’avis de cet orateur est contesté, des réfutations de ses adversaires. La liberté d’expression est ici une liberté d’entendre.

Ces informations n’ont d’ailleurs pas à être toujours exactes, elles peuvent être même volontairement inexactes, mais cela ne justifie pas que le souverain ne puisse pas les connaitre.

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