Grands vainqueurs des élections territoriales en Corse fin 2017, les nationalistes Gilles Simeoni et Jean-Guy Talamoni étaient reçus aujourd’hui par Édouard Philippe pour aborder les principales exigences présentes dans leurs programmes.
A la veille de cette rencontre, Jean-Guy Talamoni a dessiné pour Sputnik les grandes lignes de ces rencontres.
Le programme conjoint de la liste nationaliste de l’alliance « Pè à Corsica » (Pour la Corse) qui regroupe les partis politiques nationalistes corses Femu a Corsica (FC) et Corsica Libera (CL) repose sur trois points essentiels, telle notre Terre sur les trois éléphants: l’autonomie, la co-officialité de la langue corse et la libération des prisonniers politiques. Gilles Simeoni et Jean-Guy Talamoni, figures de proue de l’alliance autonomistes-indépendantistes, la grande gagnante politique des élections en Corse, sont montés à Paris pour évoquer les promesses faites à leur électorat avec l’exécutif français.
Pas d’autonomie sans réformes constitutionnelles
Depuis les élections territoriales de décembre dernier, les nationalistes ont eu beaucoup de travail à accomplir pour mettre en place de la fusion des trois collectivités préexistantes: sur les plans technique, administratif et institutionnel. Deux réunions d’Assemblée ont eu lieu — « techniques, mais importantes», d’après Jean-Guy Talamoni.
« Nous sommes obligés de mener de front deux démarches, déclare le Président de l’Assemblée de Corse, l’installation de la nouvelle collectivité unique et la préparation des rencontres avec Edouard Philippe, Gérard Larcher et François de Rugy, ainsi qu’avec d’autres hommes politiques».
Depuis, certaines revendications des vainqueurs ont reçu une fin de non-recevoir de Paris. Mais, au moment de la visite en Corse de Jacqueline Gourault, ministre auprès du ministre de l’Intérieur et chargée du dossier corse, une déclaration a pesé plus que toutes les autres dans la balance politique: « Ce qu’il y avait de positif, via les propos de Jacqueline Gourault mandatée de nous le dire, se réjouit Jean-Guy Talamoni, qu’il aura une révision de la Constitution dans les années à venir. La question constitutionnelle, présentée comme un obstacle pendant une quarantaine d’années, va être levée dans les mois à venir avec la participation de la Corse».
Qui dit autonomie, dit moyens économiques
On sait que la Corse a une économie très typée: peu d’industrie, une agriculture faible et un poids important du tourisme, de l’administration et de la construction. Avec un taux de chômage de 11 % et un PIB par habitant inférieur de 11,5 % à la moyenne des régions françaises, le développement économique futur a été un point cardinal de tous les programmes politiques présentés lors de la campagne électorale de 2017.
« Les institutions et le peuple corses demandent qu’un certain nombre de dispositifs soient mis en place pour pouvoir développer une économie en Corse, précise le leader de la mouvance indépendantiste Jean-Guy Talamoni à Sputnik à la veille de ses entrevues à Paris. Par exemple, la Corse est une île et une région européenne de montagne, ainsi qu’une région européenne dépeuplée, ce qui fait qu’elle remplit les critères prévus par l’article 174 du Traité de fonctionnement de l’UE. »
Ainsi, pour le Président de l’Assemblée corse, lorsqu’elle demande un statut fiscal et social dérogatoire, la Corse demande juste le respect du droit européen qui engage la France. Et cela peut être un « coup de pouce » supplémentaire pour l’économie. « C’est que nous allons demander à Paris, précise M.Talamoni, pour pouvoir créer un environnement juridique et fiscal plus favorable pour l’épanouissement de nos entreprises, et par conséquent, de notre économie».
La langue corse, un pilier de l’identité de l’île
La co-officialité de la langue corse fait partie des principales revendications politiques des nationalistes. Mais, malgré leur victoire aux dernières élections territoriales, la classe politique française s’y oppose largement. La volonté de faire du corse une langue officielle au même titre que le français était l’une des exigences fondamentales des nationalistes.
La position de l’Elysée semble être ferme : Jacqueline Gourault, «madame Corse» au sein du gouvernement, a déclaré le 5 janvier, lors de sa visite sur l’Ile de Beauté: «La langue de la République française est le français». Et a considéré même que la revendication des nationalistes n’était «pas envisageable».Néanmoins, rien n’arrête Jean-Guy Talamoni qui compte également aborder avec l’Elysée ce sujet qui lui « tient à cœur » Il est persuadé que la loyauté et la détermination feront pencher la balance de son côté: « Pour ce faire, nous tenons la force de la démocratie et le suffrage universel, d’après les règles fixés par Paris. Je pense que Paris serait dans la position délicate s’il ne prenait pas en compte les résultats de nos élections ».
Prisonniers « politiques » ou pas ?
Le Conseil de l’Etat a rejeté le 13 janvier dernier, une fois de plus, la reconduction du statut de détenu particulièrement signalé (DPS) pour Yvan Colonna, reconnu coupable de l’assassinat du préfet Erignac et incarcéré depuis 15 ans. Ce statut qui bloque toute possibilité de transfert de Colonna vers le centre de détention de Borgo est un cas particulier de ce que les nationalistes corses appellent le « dossier des prisonniers politiques ».
« Pour nous, la question d’Yvan Colonna n’est pas « à part », précise à Sputnik Jean-Guy Talamoni. Son cas ne peut être séparé des autres prisonnier politiques. Si on parlait de la décision du Conseil constitutionnel, nous trouvons anormal que Colonna soit maintenu dans son statut de DPS et dans l’impossibilité d’être amené en Corse. Le maintenir dans le statut de DPS, c’est une manœuvre qui vise à empêcher le retour en Corse de Colonna. Nous soutenons sa défense dans ce combat. »
Le dossier des prisonniers politiques reste au centre d’une polémique soutenue aussi bien à cause du terme « politiques », nié catégoriquement par Edouard Philippe, qu’en raison du cœur du problème. Pour le criminologue Xavier Roufer, le point central de cette affaire, ce sont les Basques puisqu’ils représentent 80 % de cette catégorie, tandis que les Corses ne représentent que 20 %.
« Les criminels sanctionnés doivent être traités humainement, souligne le criminologue. Mon avis est qu’il serait raisonnable que les prisonniers politiques corses (si on peut les appeler comme ça) soient rapprochés des lieux où ils peuvent voir leurs familles. Ça n’applique aucune espèce d’indulgence sur leurs peines, mais ces guerres-là sont terminées. Les guérillas des années 1980 sont terminées, c’est devenu physiquement impossible. »
« La Corse a été une république, en 1755, bien avant que la France en était une. Paris formulera ses desiderata et ses priorités, nous formulerons les nôtres», Jean-Guy Talamoni reste ferme et tient à des valeurs républicaines … même si on s’attend à ce que le gouvernement ne soit pas enclin à répondre à certains demandes hautement symboliques des nationalistes corses vainqueurs.