Depuis le début de l’année, l’Afghanistan et sa capitale Kaboul sont frappés par une vague de violence de grande envergure, orchestrée par les Taliban et l’EI. Décryptage avec Karim Pakzad, chercheur à l’Iris, spécialiste de l’Afghanistan.
Plus de 200 morts et 250 blessés en une semaine. Plusieurs attaques terroristes, certaines revendiquées d’un côté par les Taliban et d’autres par l’organisation État islamique (EI), ont plongé l’Afghanistan et sa capitale Kaboul dans l’horreur. Depuis le début de l’année, les deux mouvements radicaux semblent avoir redoublé de violence dans le but de faire vaciller l’État afghan. Pourtant, les jihadistes de l’EI et les Taliban ne partagent pas le même objectif.
Pour expliquer ce qui se joue en Afghanistan et les raisons de cette recrudescence de violences, France 24 a interrogé Karim Pakzad, chercheur à l’Institut de Relations Internationales et Stratégiques (Iris), spécialiste de l’Afghanistan.
France 24 : Comment expliquez-vous le déchaînement de violences ces dernières semaines en Afghanistan et surtout à Kaboul ?
Karim Pakzad : Il faut rappeler qu’il y a quasiment tous les jours des attentats en Afghanistan, mais il est vrai que l’ampleur des derniers attentats, et la nature spectaculaire des cibles visées, perpétrés en plein cœur de Kaboul, est marquant d’une grave dégradation sécuritaire. Cette explosion de violence est en réalité une démonstration de force des Taliban et de Daech [acronyme arabe de l’EI, NDLR], sachant que leur but est de déstabiliser le pouvoir afghan, montrer qu’il est faible et incapable d’assurer la sécurité dans le pays, afin de provoquer sa chute.
Il s’agit aussi de fragiliser les Américains et les pousser à quitter l’Afghanistan. Il fallait prendre au sérieux les menaces des Taliban qui avaient promis de transformer le pays en cimetière, il y a trois mois, au lendemain de l’annonce de l’envoi supplémentaire de soldats américains par Donald Trump en Afghanistan. On l’oublie parfois, mais les États-Unis comptent près de 10 000 hommes sur le terrain, et participent de plus en plus aux efforts de guerre aux côté des troupes afghanes. Sans compter que les invectives et les pressions de Donald Trump contre le Pakistan voisin, soutien des Taliban et très influent sur la scène politique afghane, ont provoqué une crise sans précédent entre les deux pays.
Peut-on parler de surenchère dans la violence entre les Taliban et l’EI ? Ont-ils le même objectif dans le pays ?
En apparence oui, d’autant plus que, sur le plan des méthodes d’action, il y a des similitudes entre les deux mouvements, et qu’ils cherchent à affaiblir tous les deux le pouvoir afghan. Mais la situation est très complexe, et ils sont très hostiles les uns envers les autres, et très fréquemment, des affrontements sanglants éclatent entre eux. Mais il y a une distinction fondamentale entre les Taliban et Daech. Les premiers, qui ont gagné en puissance ces dernières années, sont fanatiques d’un point de vue religieux aussi, mais leur mouvement est national, dans le sens où leur objectif est de revenir au pouvoir en Afghanistan. Daech, implanté dans le pays depuis deux ans, est lui universaliste. Son but n’est pas de gouverner l’Afghanistan, mais de réinstaurer le califat, au sein du monde musulman et même au-delà, via une révolution mondiale. L’État, et surtout les Afghans, sont aujourd’hui pris en tenailles par ces deux mouvements.
Peut-on imaginer le pays sortir de ce cycle de violence ? Quelle est la clé pour parvenir à la paix ?
L’Afghanistan n’est pas près de sortir de ce cycle, car la situation sur les plans sécuritaire, politique et régional est très critique. La crise politique est tellement grave et profonde, l’autorité de l’État est tellement contestée, qu’on ne sait même pas si les élections parlementaires [prévues en juillet 2018, NDLR] auront lieu, ni sur quel résultat elles peuvent déboucher. La solution la plus efficace serait à chercher dans le cadre régional.
Il faut être clair, le président Donald Trump n’a pas de plan de paix défini pour ce pays. L’administration Obama avait de son côté au moins incité au dialogue entre les Taliban et Kaboul. Le 7 janvier dernier, la Russie a proposé un tel plan, proposant même d’accueillir des négociations sur son sol entre les différentes parties mais Washington l’a immédiatement rejeté, furieux de voir son rival s’immiscer dans le processus, dont elle veut garder la maîtrise.
Je pense que c’est seulement en impliquant les pays qui partagent une frontière avec l’Afghanistan, comme la Chine, l’Iran et surtout au premier plan le Pakistan, que la question pourrait avancer. Par exemple, sans l’aval d’Islamabad, les Taliban, qui refusent de dialoguer tant que les Américains seront présents en Afghanistan, ne s’assoiront jamais à la table des négociations. Tant que ce pays restera l’enjeu de la politique étrangère des États-Unis, je pense que les Afghans ne connaîtront pas la paix.