Le pape a reçu longuement lundi au Vatican le président turc Recep Tayyip Erdogan avant de lui offrir un médaillon avec « un ange étranglant le démon de la guerre », au moment même où le régime d’Ankara bombarde des Kurdes en Syrie.
Le pape argentin, qui n’a de cesse de marteler son horreur des guerres et des armes de destruction, n’a sans doute pas manqué d’aborder l’offensive menée depuis le 20 janvier en Syrie contre la région d’Afrine, lors de sa rencontre privée de 50 minutes avec Erdogan.
Ces attaques visent officiellement à éloigner de la frontière la milice kurde des Unités de protection du peuple (YPG), une organisation classée « terroriste » par Ankara mais alliée de Washington dans la lutte contre l’EI.
M. Erdogan avait prévu de remercier le pape pour avoir contesté la décision du président américain Donald Trump de reconnaître Jérusalem comme capitale d’Israël. « Nous sommes tous les deux pour la défense du statu quo et nous avons la volonté de le protéger », avait commenté le dirigeant turc dimanche dans le journal italien La Stampa.
Le chef de l’Etat turc, très souriant et en retard, a été accueilli lundi dans le palais du Vatican par un souverain pontife à la mine plus sérieuse. Mais l’atmosphère semblait plus détendue au moment d’échanger des cadeaux et de prendre congé, ont décrit deux journalistes présents.
« Ceci est un ange de la paix, qui étrangle le démon de la guerre », a commenté le pape en offrant un médaillon en bronze d’une vingtaine de centimètres de diamètre. « C’est le symbole d’un monde basé sur la paix et la justice », a-t-il ajouté.
Le médaillon représente un ange mystique rapprochant les hémisphères nord et sud, tout en combattant un dragon.
M. Erdogan a apporté au souverain pontife un grand panoramique en céramique d’Istanbul, où l’on pouvait distinguer la coupole de la basilique Saint-Sophie convertie par les ottomans en mosquée au XVème siècle, ainsi que la célèbre mosquée bleue.
Le pape argentin, défenseur du dialogue interreligieux, avait effectué un voyage peu chaleureux en Turquie en novembre 2014. M. Erdogan, un pieux musulman, s’était alors arc-bouté sur la dénonciation de l' »islamophobie ».
Il avait aussi dévoilé à François, chantre de la simplicité, son fastueux palais présidentiel d’un millier de pièces et 200.000 m2, soit un peu moins de la moitié de la superficie du Vatican.
Le président turc était accompagné lundi d’une délégation de 16 personnes, dont son épouse et l’une de ses filles, mais aussi quatre ministres parmi lesquels celui en charge des relations avec l’Europe. M. Erdogan devait visiter la basilique Saint-Pierre avant de quitter le Vatican.
La voiture présidentielle de M. Erdogan était arrivée sur une place Saint-Pierre inaccessible et désertée.
Une vaste zone du centre de Rome a en outre été déclarée interdite aux manifestants pendant 24 heures et 3.500 policiers ont été déployés.
Une trentaine de personnes se sont cependant rassemblées à la mi-journée non loin du Vatican, à l’initiative d’une association italienne de Kurdes. « A Afrine, un nouveau crime contre l’Humanité est en cours », a dénoncé l’association.
– Pas de rencontre avec la presse-
Le président turc devait s’entretenir aussi lundi avec le président italien, Sergio Mattarella, et le chef du gouvernement, Paolo Gentiloni, une occasion de parler d’immigration clandestine, d’industrie de la défense ou d’adhésion à l’UE.
Dimanche, il avait rejeté dans les colonnes de La Stampa toute alternative à une « adhésion » de la Turquie à l’UE, balayant la proposition française d’un simple « partenariat ».
Aucune rencontre avec la presse n’est prévue à Rome. M. Erdogan avait été vivement critiqué début janvier à Paris pour s’en être pris à un journaliste français l’interrogeant sur la livraison supposée d’armes par Ankara au groupe Etat islamique en 2014.
La visite de M. Erdogan à Paris avait été la plus importante dans un pays de l’UE depuis le putsch manqué de 2016 et la répression qui l’a suivi. Plus de 140.000 personnes ont été limogées ou suspendues et plus de 55.000 ont été arrêtées, dont des universitaires, des journalistes et des militants pro-kurdes, accusés de propagande « terroriste » ou de collusion avec les réseaux du prédicateur Fethullah Gülen.