Plusieurs dizaines d’étrangers se battent à Afrin pour défendre la révolution kurde dans le nord de la Syrie. Considérés comme des mercenaires, ils pourraient être inquiétés de retour dans leur pays. Débat autour d’une question litigieuse.
Depuis que la Turquie a lancé, le 20 janvier, une offensive contre Afrin, dans le nord de la Syrie, entre 100 et 400 Occidentaux ont rejoint les rangs de la défense kurde. Considérés comme des mercenaires, ces combattants pourraient être inquiétés dans leur pays à leur retour. Plusieurs cas ont été judiciarisés en Europe, dont le dernier en date concerne un ancien soldat britannique, James Matthews, qui a comparu le 14 février pour terrorisme devant un tribunal londonien pour avoir combattu l’organisation État islamique (EI) aux côtés d’une milice kurde, pourtant soutenue par le Royaume-Uni.
En France, ce cas de figure ne s’est pas encore présenté, mais certains de ces combattants affirment eux-mêmes être « fichés S ». Interrogé par France Info sur son retour en France, avant qu’il ne soit tué sur le front à Afrin le 10 février, « Kendal Breizh », un Français de 40 ans, disait vouloir rentrer l’été prochain. Il n’était pas inquiet quant à une éventuelle condamnation dans l’Hexagone pour ses activités armées. « Il y a peu de conséquences pour les gens qui ont déjà eu l’occasion de retourner [en France] pour une raison très simple : il serait un peu hypocrite de la part de la France de poursuivre des gens qui combattent avec les Unités de protection du peuple (YPG) [milice kurde, NDLR], alors qu’à quelques kilomètres d’ici les forces françaises font de même. »
« Après avoir passé du temps dans les groupes kurdes, les volontaires étrangers ont la capacité de déployer un haut niveau de violence », redoute néanmoins le canadien Guillaume Corneau-Tremblay,dans un article aux accents alarmistes. Il estime qu’après plusieurs mois passés sur le front, ces internationaux sont susceptibles de s’identifier à la cause et de « s’approprier le conflit » qui oppose les Kurdes à la Turquie, et par extension à l’Otan. Quitte à le transposer sur d’autres théâtres.
Le chercheur évoque notamment le risque de voir des combattants, qui étaient déjà dans une contestation du « système », s’en prendre à certains « symboles occidentaux (finance, militaire, politique, etc.) ». Une crainte balayée par le spécialiste des extrémismes en Europe, Jean-Yves Camus, qui juge l’analyse anachronique. « Action directe [groupe anarcho-communiste qui a multiplié les attaques terroristes en France de 1979 à 1987, NDLR] est mort en France depuis des années », souligne l’expert. Et de nuancer : « Ce qui ne veut pas dire qu’il n’y ait pas quelques faits inquiétants de la part de l’ultra-gauche ».
De son côté, Olivier Grojean, maître de conférence à la Sorbonne et spécialiste de la question kurde, rappelle que le « PKK [Parti des travailleurs du Kurdistan, NDLR] n’a jamais commis d’attentat sur le sol européen. Les Kurdes ne sont pas en guerre contre les Occidentaux et il n’y a pas de raison que les combattants étrangers se retournent contre leur pays d’origine ». Pourtant, les volontaires grecs actifs dans les rangs des YPG ne cachent pas leur intention de mettre en œuvre les compétences acquises sur le théâtre syrien au profit de leur cause dans leur pays d’origine.
« Un suivi est nécessaire »
Tout en relativisant la menace, une source officielle proche du dossier estime pour sa part que ces combattants étrangers devraient faire l’objet d’une surveillance. Ce qui l’inquiète : le projet politique d’ultra-gauche des Kurdes dudit Rojava et la formation militaire octroyée aux étrangers.
« Le Rojava est une terre d’expérimentation d’un nouveau mode de société. Les combattants internationaux sont enfermés dans une bulle. Cette expérience les conforte dans une logique de légitimation de la violence et de contestation de l’ordre social […] C’est un processus qui ressemble beaucoup à la radicalisation islamique », à ce titre,’ »un suivi est nécessaire ».
Le processus d’enrôlement dans les rangs des YPG n’est pas sans laisser penser « au mode de fonctionnement des réseaux jihadistes », explique-t-elle. Les similitudes commencent dans les motivations : pour de nombreux Occidentaux, le départ a été motivé par les exactions commises par les jihadistes contre les Kurdes, Yazidis, chrétiens ou autre minorités, et par « l’abandon des forces internationales ». De la même manière, certains jihadistes étrangers, dont des occidentaux, sont partis en Syrie après s’être offusqués du sort réservé à leur coreligionnaires.
Notre source file la comparaison : enrôlés via les réseaux sociaux, les volontaires pro-kurdes partent clandestinement intégrer les brigades internationales des YPG. Ces dernières prennent parfois en charge les billets d’avion. Sur place, ces volontaires ne sont pas rémunérés mais ils reçoivent un entraînement physique intense, ainsi qu’une formation militaire et idéologique. Les plus expérimentés sont ensuite invités à prendre les armes et ceux qui laissent leur vie pour la cause sont érigés en « martyrs », une terminologie loin d’être anodine. Dernièrement, ce fut le cas du premier volontaire français mort dans les rangs du groupe à Afrin face à l’armée turque.