Malgré la pression internationale, Moscou n’est pas prêt à changer de stratégie en Syrie. De passage mercredi à Genève où il s’est exprimé devant le Conseil des droits de l’homme puis devant la conférence du désarmement, le chef de la diplomatie russe, Sergueï Lavrov, a attribué aux groupes combattants soutenus par les Occidentaux l’échec du cessez-le-feu adopté samedi par le Conseil de sécurité.
Plus que jamais, une ambiance de guerre froide entoure désormais le règlement de la crise syrienne. C’est sous solide escorte, entouré de plusieurs gardes du corps, que le chef de la diplomatie russe est arrivé au Palais des Nations mercredi matin. L’heure n’est pas au consensus mais au rapport de force à une échelle qui, aujourd’hui, dépasse largement le seul conflit syrien.
À la Conférence du désarmement, Sergueï Lavrov a dénoncé les manœuvres militaires des membres de l’OTAN qui «entraînent leurs forces à utiliser des armes nucléaires tactiques contre la Russie». Une manière de rappeler que l’affrontement à distance sur-le-champ de bataille syrien portait en lui les germes d’une confrontation beaucoup plus directe et à plus grande échelle avec évidemment l’autre dossier chaud, occulté par l’actualité : l’Ukraine et la Crimée.
La cause immédiate du raidissement des relations entre Russes et Occidentaux, ce sont évidemment les événements de la Ghouta orientale. Chacun se rejetant la responsabilité du désastre humanitaire provoqué par les combats. Pour Sergueï Lavrov, ce sont les terroristes qui bloquent les évacuations civiles et violent le cessez-le-feu humanitaire de 5 heures proposé par Vladimir Poutine. «C’est à leurs commanditaires d’agir maintenant», exhorte-t-il. Autrement dit, il incombe aux Occidentaux de faire stopper les violences en exerçant une pression sur les groupes combattants qu’ils ont soutenus et encouragés. À Washington, à Paris et à Londres, ce n’est pas la lecture qu’on a des événements. La paternité des violences en Syrie est attribuée à Damas et à ses alliés russes et iraniens et aux Turcs.
Sergueï Lavrov a eu un entretien mercredi matin avec Staffan de Mistura, le médiateur de l’ONU pour la Syrie. La pression pour remettre le processus de Genève au centre du jeu est énorme. Avec les accords de cessez-le-feu arrachés à Astana ces derniers mois, Moscou avait fini par prendre la main sur les négociations. La conférence de Sotchi a marqué un coup d’arrêt. Washington, Paris et Londres ne veulent plus de cet agenda-là. Comme au plus fort de la guerre froide, les Occidentaux veulent recentrer les négociations à Genève. Signe des temps, ce n’est pas devant le Conseil des droits de l’homme que les protagonistes de cette crise diplomatique ont croisé le fer, mais devant la Conférence du désarmement moribonde depuis deux décennies.
Manœuvre anti-Assad
La France, appuyée par les États-Unis, y a défendu un projet de «Partenariat international contre l’impunité d’utilisation d’armes chimiques» qui braque Damas et Moscou. Si cette initiative déplaît autant, c’est qu’elle est perçue comme une manœuvre visant à exclure Bachar el-Assad du jeu politique lorsque la paix sera revenue. En stipulant que «les responsables de la prolifération ou l’emploi d’armes chimiques» en Syrie auraient à rendre des comptes, les auteurs du texte pensent évidemment aux poursuites qui pourraient être engagées à l’encontre du chef de l’État syrien. La manœuvre revient évidemment à mettre la tête de Bachar el-Assad sur le billot en l’empêchant de se maintenir au pouvoir.
Les Russes ne sont pas dupes. Quant aux diplomates syriens, ils explosent quand Paris et Washington préconisent de publier les noms des «individus, entités, groupes ou gouvernements» impliqués dans l’usage d’armes chimiques sur un site Internet dédié. La Syrie «a détruit toutes ses armes chimiques en un temps record» et cette mesure est «irréversible», s’est époumoné le représentent de Damas lors de son intervention devant la Conférence du désarmement. Les Occidentaux suggèrent le contraire. Pour l’ambassadeur américain Robert Wood et pour la représentante permanente de la France auprès de la Conférence du désarmement, Alice Guitton, la Russie a failli à sa promesse d’évacuer, comme elle s’y était engagée, toutes les armes chimiques détenues par l’armée régulière du théâtre de guerre syrien.