« Avant même l’Anschluss, les Autrichiens avaient l’insigne nazi caché sous le revers de leur veste ». A près de 105 ans, Marko Feingold, plus vieux rescapé autrichien des camps de la mort, raconte l’annexion de son pays par Hitler en mars 1938. Et la persistance de l’antisémitisme après la guerre.
« L’antisémitisme était déjà très présent dans les années 1920 ». La pauvreté était telle « que 80% des Autrichiens ont célébré l’Anschluss », rappelle cet alerte centenaire, qui préside toujours la Communauté israélite de Salzbourg (ouest).
« Avant même l’Anschluss, les Autrichiens avaient l’insigne nazi caché sous le revers de leur veste ». A près de 105 ans, Marko Feingold, plus vieux rescapé autrichien des camps de la mort, raconte l’annexion de son pays par Hitler en mars 1938. Et la persistance de l’antisémitisme après la guerre.
« L’antisémitisme était déjà très présent dans les années 1920 ». La pauvreté était telle « que 80 % des Autrichiens ont célébré l’Anschluss », rappelle cet alerte centenaire, qui préside toujours la Communauté israélite de Salzbourg (ouest).
Lui-même établi en Italie dans les années 1930 pour fuir la misère, Marko Feinglod est à Vienne pour effectuer des démarches administratives quand les troupes allemandes entrent triomphalement dans la capitale le 13 mars, il y a 80 ans.
Né le 28 mai 1913, avant même la Première guerre mondiale, il a 24 ans. Et avoue n’avoir eu « aucune idée » de ce qui se tramait, alors que la ville baignait dans la douce euphorie du carnaval.
Il est rattrapé par la réalité. « On dit que c’est l’Allemagne qui a occupé l’Autriche. En fait, ce sont les Autrichiennes qui ont occupé les Allemands. Chaque soldat avait des grappes de femmes à son cou ».
Dès le 13 mars, les choses se corsent pour lui. « La Gestapo est venue arrêter notre père, qui figurait sur une liste établie à l’avance car il était soupçonné d’activités politiques. En son absence, elle m’a embarqué avec mon frère ».
Battus, les deux jeunes hommes sont finalement libérés au bout de trois semaines, avec ordre de quitter le pays.
Après plusieurs pérégrinations, ils sont arrêtés à Prague et déportés à Auschwitz en 1940. « A l’époque, les rails s’arrêtaient à deux kilomètres du camp. Il a fallu marcher sous les coups de crosses de SS. Ils m’ont dit que j’avais trois mois à vivre. C’était vrai: au bout de deux mois et demi j’étais sur le point de succomber d’épuisement quand par chance j’ai pu faire partie d’un convoi pour Neuengamme ».
Marko Feingold, matricule 11.996, sera par la suite encore transféré dans deux autres camps, à Dachau puis à Buchenwald, où il sauve sa vie grâce à sa qualification de maçon.
Mais la libération du camp par les Américains en avril 1945 ne signifie pas le retour à Vienne. « Il y avait 28 nations dans le camp à la Libération. Toutes ont pu repartir, sauf les Autrichiens qui ont dû rester à Buchenwald jusqu’en mai ».
Quand il tente enfin de rejoindre la capitale avec 127 autres rescapés, le transit par la zone d’occupation soviétique leur est interdit.
« Un soldat russe nous a dit avoir l’ordre de ne pas nous laisser passer: le nouveau chancelier (social-démocrate) Karl Renner avait dit: +on ne reprendra pas les Juifs+ », souligne-t-il.
Seul survivant de sa famille, Marko Feingold décide alors de s’établir à Salzbourg, en zone américaine. De là, il établit une filière qui permet jusqu’en 1947 à « 100.000 Juifs d’émigrer en Palestine » via l’Italie.
« On devait ruser avec les autorités d’occupation, mais pas avec les Autrichiens: ils étaient contents que les Juifs s’en aillent, ils avaient trop peur qu’ils reviennent ».
Car l’antisémitisme est alors omniprésent dans ce pays qui, contrairement à l’Allemagne, n’a été que superficiellement dénazifié et s’est longtemps complu dans un rôle de « victime » du IIIe Reich en refoulant son propre rôle dans la Shoah. « J’ai dû me justifier devant des fonctionnaires ex-nazis de ma situation administrative durant ma déportation », relève Marko Feingold.
Par ailleurs, « impossible de trouver un travail. Quelqu’un qui revenait des camps était forcément un criminel. Aussi j’ai dû me mettre à mon compte ». Il crée à Salzbourg un magasin d’habillement qui devient vite florissant.
Car Marko Feinglod refuse d’émigrer. « On m’a posé la question des milliers de fois. A chaque fois, j’ai répondu: +j’irai en Israël le jour où vous (catholiques) irez à Rome+ ».
Le rescapé choisit aussi de témoigner inlassablement, comme il s’en était fait le serment à Auschwitz. Malgré son grand âge, il enchaîne encore conférences et interventions scolaires. « J’ai dû parler devant un demi-million de personnes au total », estime-t-il.
Pour quel résultat ? « L’antisémitisme est toujours présent, même si les gens ne savent pas pourquoi ils sont antisémites. Mais j’ai le sentiment qu’il recule dans les grandes villes ».
De 600 membres après la guerre, la communauté israélite de Salzbourg ne compte plus qu’une trentaine d’âmes aujourd’hui. Dans les années 1960, « beaucoup de gens ont émigré car ils estimaient que leurs enfants ne trouveraient pas leur place en Autriche ».
Un tournant s’est toutefois opéré à la fin des années 1970 : « Depuis cette époque, je suis littéralement couvert d’honneurs officiels », relève Marko Feingold.
Le prochain est prévu le 28 mai, quand le rescapé doit être reçu pour ses 105 ans par le jeune chancelier conservateur Sebastian Kurz – envers lequel il est élogieux – et le vice-chancelier d’extrême droite Heinz-Christian Strache, chef du parti FPÖ.
Alors que la communauté israélite de Vienne a décidé de boycotter les cadres de cette formation créée par d’anciens nazis, M. Feingold dit se réjouir du rendez-vous. « Il est toujours bon de parler avec les gens et de leur donner leur chance ».