Irak, Libye, Syrie : près de trente ans d’interventions occidentales au Moyen-Orient

L’éventualité de frappes américaines et françaises contre le gouvernement syrien, accusé d’être à l’origine d’attaques chimiques, s’inscrit dans la longue histoire des opérations militaires au Moyen-Orient, dont le bilan, souvent contrasté, fait l’objet de critiques récurrentes.

Des frappes américaines et françaises sont envisagées contre le gouvernement syrien alors que les pays occidentaux accusent le pouvoir de Bachar el-Assad d’avoir commis une attaque chimique contre la ville de Douma, dans la Ghouta orientale, l’une des dernières poches près de Damas aux mains de la rébellion islamiste.

Une telle opération extérieure, menée depuis les airs ou depuis la mer, s’inscrirait dans une longue histoire de l’interventionnisme occidental au Moyen-Orient. Irak en 1990 puis en 2003, Libye en 2011, Syrie aujourd’hui… Ces interventions, réalisées avec ou sans un mandat de l’ONU, à l’intérieur ou hors de l’OTAN, sont soumises, particulièrement depuis la Guerre d’Irak, à de fortes critiques. Au fil des ans, elles ont d’ailleurs vu leur format se réduire: les frappes continuent, mais les combats au sol sont de moins en moins le fait des puissances occidentales elles-mêmes, remplacées sur le terrain par des forces locales, à l’image de la coalition anti-Daech.

En août 1990, l’Irak envahit le Koweït, sur fond de différend pétrolier entre les deux États producteurs. Saddam Hussein, contrairement à ce qu’il espérait, ne peut compter sur le soutien de l’URSS, proche de l’implosion. Le conseil de sécurité de l’ONU vote un embargo commercial, financier et militaire contre l’Irak, puis un blocus, avant d’autoriser une opération militaire.

Une coalition anti-irakienne, commandée par les États-Unis, composée d’une trentaine de pays, dont la France, et basée en Arabie Saoudite, mène victorieusement l’opération «Tempête du désert» du 17 janvier au 28 février 1991. Le conflit prend fin après que Saddam Hussein a accepté les conditions de paix imposées par l’ONU, notamment la destruction des armements chimiques et biologiques, ainsi que des missiles à moyenne et longue portée de son régime. La guerre du Golfe a été meurtrière: plusieurs dizaines de milliers de morts parmi les combattants irakiens, 240 du côté de la coalition. Les pertes civiles pourraient dépasser les 100.000 morts.

Deux après les attentats terroristes de 2001, l’Irak est de nouveau l’objet d’une offensive occidentale, mais les États-Unis, et quelques-uns de leurs alliés, dont le Royaume-Uni, interviennent cette fois-ci sans mandat de l’ONU, après le veto imposé par la France au conseil de sécurité. George W. Bush et son administration, dominée par le courant néoconservateur, condamnent les agissements d’un «axe du mal», composé de l’Iran, de l’Irak, de la Corée du Nord, qu’ils accusent de soutenir le terrorisme international et de posséder des armes de destruction massive. Or, l’Irak de Saddam Hussein n’avait pas de liens avec al-Qaida et ne possédait pas de telles armes, depuis leur destruction sous l’égide de l’ONU après la guerre du Golfe.

En une vingtaine de jours d’offensive, le régime irakien tombe. Une autorité provisoire administre le pays jusqu’au vote d’une nouvelle constitution irakienne en 2005. Saddam Hussein est exécuté en 2006. «Considérées comme des forces d’occupation, les troupes engagées doivent faire face aux divers mouvements de résistance. Le pays sombre dans la guerre civile», écrit Christophe Péry dans l’Encyclopædia Universalis. L’offensive américaine aura pour conséquence la mise en place d’un gouvernement chiite, proche de l’Iran, et la mise au ban de la communauté sunnite, gagnée par l’islamisme. Ces tensions favoriseront l’émergence de Daech, notamment après le départ des forces américaines en 2011. En plus d’être vécue dans les pays du monde arabe mais également en Europe comme le symbole d’un impérialisme, la guerre d’Irak, qui a coûté la vie à plus de 3000 soldats américains, est rapidement devenue impopulaire aux États-Unis même.

À partir de mars 2011, dans le contexte des «printemps arabes», une guerre civile oppose en Libye les forces fidèles à Mouammar Kadhafi, qui dirige le pays depuis 1969, et la rébellion, que les pays occidentaux soutiennent. La résolution 1973 du conseil de sécurité de l’ONU instaure une zone d’exclusion aérienne et permet de «prendre toutes les mesures jugées nécessaires pour protéger les populations civiles».

Conduite dans le cadre de l’OTAN, l’intervention des États-Unis, de la France et du Royaume-Uni aboutit à la chute du régime de Kadhafi et à la mort du dictateur. De nombreux observateurs défavorables aux interventions dites humanitaires l’ont critiquée, car celle-ci aurait dépassé le cadre fixé par la résolution onusienne qui était, non pas d’obtenir la chute du régime de Kadhafi, mais de protéger les populations civiles. Cet argument a été notamment défendu par deux membres permanents du conseil de sécurité de l’ONU, la Chine et la Russie. Le pays continue d’être le lieu d’une guerre civile, qui a permis à l’État islamique de s’implanter.

Après l’expansion territoriale rapide de l’État islamique à l’été 2014, une coalition internationale dominée par les États-Unis a été formée par plusieurs puissances occidentales et arabes. Tandis que les premières assurent l’essentiel des frappes aériennes, ce sont des forces locales qui interviennent au sol. En Irak, ce sont l’Armée irakienne, des milices chiites parrainées par l’Iran et les peshmergas du Kurdistan irakien qui mènent l’essentiel des combats. En Syrie, ce sont les Forces démocratiques syriennes, dominées par les combattants kurdes, qui luttent contre Daech, en concurrence avec l’Armée syrienne soutenue quant à elle par la Russie et l’Iran. Le 10 juillet, Daech perd sa capitale irakienne, Mossoul, puis, le 17 octobre, sa capitale syrienne, Raqqa.

Dès le début de la guerre civile en Syrie, les puissances occidentales soutiennent la rébellion opposée au gouvernement syrien de Bachar el-Assad. Néanmoins, elles n’interviennent pas, celui-ci étant soutenu par la Russie et l’Iran. En 2012, le président américain Barack Obama établit une «ligne rouge»: si Damas utilise l’arme chimique, les États-Unis interviendront. Mais après l’attaque chimique de la Ghouta à l’été 2013, les Américains préfèrent opter pour un accord diplomatique avec la Russie, qui intervient quant à elle en septembre 2015pour soutenir Damas.

Le 4 avril 2017, une attaque chimique au gaz sarin est perpétrée à Khan Cheikhoun. Quarante-huit heures plus tard, le nouveau président américain Donald Trump, qui accuse Damas, ordonne les premières frappes contre le gouvernement syrien, mais cette intervention ne change pas le cours de la guerre, alors que le gouvernement syrien prend l’avantage face aux rebelles. La nouvelle attaque de la Ghouta, perpétrée cette semaine, pourrait entraîner de nouvelles frappes américaines, auxquelles la France pourrait cette fois-ci s’associer.

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