Menaces de tirs américains en Syrie : « Ça peut déraper », OPINION

Donald Trump a laissé entendre, mercredi matin, sur Twitter, que des missiles « beaux et nouveaux et intelligents » frapperaient sous peu la Syrie.

« Il faut prendre la chose très au sérieux », clame un observateur attentif de la situation. Éclairage sur cette escalade de tension en 10 questions avec Samir Saul, professeur d’histoire à l’Université de Montréal et spécialiste en relations internationales.

Doit-on s’inquiéter des tweets de Donald Trump?

Absolument. Ce qui semble se préparer autour de la Syrie est très inquiétant et très grave, parce que cela peut déraper en un conflit américano-russe. Une attaque contre la Syrie est une attaque contre un allié de la Russie, qui est présente en Syrie. La Russie a annoncé qu’elle allait riposter. Ce que font les États-Unis, c’est narguer et viser un allié de la Russie.

Pourquoi ces menaces arrivent-elles à ce moment-ci?

L’opération de reprise de la Ghouta par la Syrie a commencé au mois de février. La Syrie et la Russie ont déjà prévu que les djihadistes feraient appel aux Occidentaux pour bombarder la Syrie, à travers un incident chimique. Il faut comprendre que les incidents chimiques sont le moyen de faire venir les Occidentaux pour bombarder la Syrie. C’est le prétexte. Les djihadistes en ont besoin.

Vous faites référence à la présumée attaque chimique survenue samedi dans la ville de Douma, qui aurait fait plusieurs dizaines de morts. Chacun se renvoie la balle. Qui est à la source de cette attaque chimique, selon vous?

Certainement les djihadistes. Il n’y a aucun doute. Il faut toujours se poser la question : « À qui profite le crime? ». Certainement pas à la Syrie. Certainement pas au gouvernement syrien, qui n’a pas besoin d’être bombardé. Il est en ce moment en train de remporter la victoire sur le plan militaire. Ceux qui sont en train de subir la défaite, ce sont les djihadistes. Ils ont besoin d’aide externe, parce qu’ils sont vaincus, et cette aide externe, elle est occidentale. Pour faire agir les Occidentaux, on leur montre des images horribles, pour travailler des cordes sensibles et obliger les dirigeants à dire que c’est le moment de bombarder la Syrie. Ce sont les djihadistes qui en profitent.

Une alliance entre les États-Unis et les djihadistes est-elle improbable?

Elle n’est pas improbable, elle est de facto. La guerre en Syrie est une guerre de coalition. Il y a des pays anti-syriens – les États-Unis, la France, la Grande-Bretagne, l’Arabie saoudite, la Turquie, le Qatar au début, Israël. Tous ces États voulaient démanteler la Syrie depuis 2011 par une guerre interne, une guerre menée par les djihadistes. Ce sont les djihadistes qui menaient la guerre contre le gouvernement syrien, avec l’accord et l’appui des pays occidentaux, car ils n’ont pas de troupe au sol. C’est une guerre par procuration. Ce n’est pas une guerre classique où on envoie sa propre armée. La coalition anti-syrienne a utilisé les djihadistes comme combattants au sol. Il y a un parrainage entre cette coalition et les djihadistes.

Quel est l’intérêt pour la Russie de protéger Bachar Al-Assad?

La Russie a besoin de stabilité dans la région. L’effondrement de la Syrie permettrait aux djihadistes de s’incruster en Syrie et au Moyen-Orient, et ensuite, de passer en Russie après avoir créé des troubles dans le Caucase. L’installation des djihadistes en Syrie, le démantèlement de l’État syrien et d’autres États dans la région donneraient aux djihadistes beaucoup d’espace d’action, et ils viseraient immédiatement la Russie.

Cela affaiblirait-il l’influence russe dans la région, à l’avantage des Américains?

Tout à fait. La guerre en Syrie n’est pas uniquement une guerre syrienne. C’est une guerre qui vise la Russie en dernier ressort. La Russie n’est pas en Syrie simplement par générosité. Elle est là pour défendre ses propres intérêts et sa stabilité, parce que si les djihadistes lancent en Russie le genre de guerre qu’ils ont menée en Syrie, il va y avoir beaucoup de troubles.

Comment pourrait riposter la Russie s’il y avait des tirs de missiles américains?

Cela dépend de la nature de la menace. Si les États-Unis lancent une opération majeure, visant les centres vitaux de la Syrie, je vois mal comment la Russie pourrait ne pas riposter. Et elle a tous les moyens pour riposter. Par contre, il n’est pas exclu que les États-Unis fassent une sorte d’attaque-spectacle, comme l’année dernière. Une soixantaine de missiles de croisière avaient été lancés contre une base aérienne vide. Il n’est pas exclu que Trump se limite à un peu de spectacle, et dans ce cas-là, probablement que la Russie ignorera. Mais si c’est quelque chose de sérieux, je ne vois pas comment la Russie pourrait ne pas riposter.

D’où tirerait-elle? A-t-elle des missiles dans les pays alentour, en Syrie?

La Russie a des missiles de croisière qui peuvent être tirés depuis la Russie. Elle a aussi un armement antiaérien S300 et S400 qui peut abattre n’importe quoi, qui se trouve en Syrie.

Les Russes pourraient-ils bombarder le territoire américain?

Le territoire américain, non, pas encore, mais il y a des forces américaines dans la région. Il y a des navires américains en mer Méditerranée. Si ces navires sont le lieu d’où partent des attaques contre la Syrie, la Russie pourrait les viser.

Sommes-nous à quelques heures d’une escalade internationale de la guerre en Syrie?

Ce n’est pas exclu. Il faut prendre la chose très au sérieux. Deux grandes puissances vont se frotter et ça peut déraper.

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