Allô l’Europe ? Ici, c’est Macron !

Le chef de l’Etat parle aux députés européens le 17 avril. Alors qu’il est bien seul à défendre une refondation de l’Union.

Emmanuel Macron peut-il faire le bonheur de l’Europe malgré elle ? Le candidat avait mis le sujet au coeur de sa campagne, le président l’installe comme pièce maîtresse de sa politique. Pour l’heure, il est crédité d’un succès d’estime : par son verbe, il a rehaussé l’intérêt pour un thème peu glamour. Il lui reste à transformer les intentions en actes. Si possible avec des résultats concrets d’ici aux élections européennes de mai 2019. Mais les soutiens lui font défaut et Emmanuel Macron ne peut pas repeindre l’Union à lui tout seul, à ses couleurs de surcroît. C’est le sens implicite de son intervention devant le Parlement européen, à Strasbourg, mardi 17 avril.

A Athènes, le 7 septembre, puis à la Sorbonne (Paris), le 26 du même mois, le chef de l’Etat avait défini une démarche ambitieuse, persuadé que c’est au niveau européen que les peuples peuvent retrouver de la souveraineté. Un mot qu’il prononce 18 fois, le 26 septembre. « Beaucoup des tensions actuelles sont un test pour la souveraineté européenne, dit-on aujourd’hui à l’Elysée, comme l’empoisonnement de Sergueï Skripal, la bataille commerciale lancée par Donald Trump, le terrorisme, le climat. »

La France demande plus de solidarité. Le 17 avril, à Strasbourg, Emmanuel Macron ne va pas refaire des propositions, mais se féliciter des avancées réalisées depuis son arrivée à l’Elysée (création d’un fonds européen de la défense, réforme des règles du travail détaché, surveillance des investissements stratégiques, progrès dans la taxation des Gafa) et pointer deux gros chantiers, les plus épineux : les migrants et la réforme de la zone euro. Dans les deux cas, il s’agit de faire preuve de plus de solidarité. Avec les pays exposés à l’afflux de migrants (Italie et Grèce), laissés seuls face à la crise de 2015. Avec les pays les plus faibles en cas de nouvelle tempête économique. Dans les deux cas, la France voudrait un accord politique pour le sommet européen des 28 et 29 juin.

Sur la zone euro, les travaux pratiques viennent seulement de commencer : Paris a dû attendre Berlin, et la composition d’une coalition gouvernementale après les élections législatives allemandes du 24 septembre 2017. L’idée même de refonder les règles de la monnaie unique n’est pas ressentie avec la même acuité des deux côtés du Rhin. En Allemagne, la préférence va au statu quo : tout va mieux, pourquoi s’agiter ? « Ne rien faire serait pourtant une grave erreur, estime un diplomate européen, il faut se prémunir contre un nouveau coup dur : la plupart des pays n’ont pas de marge de manoeuvre budgétaire s’il fallait affronter une nouvelle récession. » D’où la position française de départ : doter la zone euro d’un budget, d’un Parlement, d’un ministre des Finances, et en délibérer à froid, pas dans l’urgence comme les 19 pays de la monnaie unique le font depuis 2010, à force de plans de la dernière chance.

Mais cette ambition initiale évolue. La France a compris qu’il fallait remiser les mots qui fâchent : Parlement et ministre des Finances de la zone euro. Reste le budget de la zone euro, un vocable qui peut désigner des contenus très différents. Comme l’explique l’économiste Philippe Martin, président délégué du Conseil d’analyse économique : « Soit on adopte une vision économique des choses et on décide qu’en cas de crise, il faut faire des transferts au profit des pays les plus affaiblis de la zone euro ; toutefois, un tel schéma est difficile à vendre aux opinions publiques. Soit on choisit une vision plus politique, où l’Europe consacrerait des dépenses à des objectifs consensuels comme le climat, la recherche, le numérique, avec cette réserve qu’elles ne joueraient pas forcément un rôle de relance en cas de crise. »

La première option, celle qui engage les Etats à plus de solidarité, est loin d’être partagée. Le 6 mars, huit pays européens (dont deux hors zone euro) diffusent une lettre commune pour dire leur opposition à la conception française. Eux privilégient la responsabilité : que chacun fasse le ménage chez lui et l’Europe sera préservée.

En Allemagne, la chancelière Angela Merkel paraît bien seule à s’intéresser au sujet. Une partie de la CDU l’attend au tournant ; le SPD, autre membre de la coalition, semble davantage passionné par les questions sociales et environnementales que par les affaires monétaires. Le ministre des Finances, Olaf Scholz, bien que membre du SPD, joue les faucons plus que les colombes.