A gauche comme à droite, des voix critiques se sont fait entendre lors d’un débat sans vote du Parlement, pour dénoncer la décision de Paris de frapper Damas le 14 avril aux côtés de Washington, sans mandat de l’ONU, et sans consultation des élus.
La frappe française du 14 avril contre la Syrie, décidée sans consultation du Parlement, ne fait pas l’unanimité chez les députés et sénateurs. Ceux-ci ont pu faire entendre leur désaccord lors d’un débat à l’Assemblée nationale, sans vote, deux jours après l’intervention conjointe de Paris, Washington et Londres.
Une fois n’est pas coutume, l’intervention du chef de file des députés Les Républicains (LR) Christian Jacob a été applaudie par les députés communistes, Insoumis et Front national (FN). «En intervenant sans mandat [de l’ONU], nous craignons que la France se soit encore un peu plus isolée dans cette région du monde», a lancé le président de groupe.
Christian Jacob a ensuite rendu hommage à la position de Jacques Chirac en 2003, qui avait alors dit «non» à la guerre en Irak, et déploré que Paris se soit cette fois aligné «sur les positions américaines». Le président du groupe LR a par ailleurs estimé que «rien n’interdisait» à Emmanuel Macron de recourir à un débat avant de lancer l’intervention en Syrie. «L’utilité des frappes françaises en Syrie reste à démontrer», a-t-il ajouté.
Il a enfin appelé à une «solution politique globale» en Syrie, regrettant que «l’on ne travaille pas à une solution partagée avec la Russie», sans qui «rien ne se fera en Syrie». Christian Jacob s’est interrogé : «La Russie a peut-être beaucoup de défauts, mais que serait devenue la poudrière syrienne sans l’intervention des Russes ?»
Le leader de La France insoumise Jean-Luc Mélenchon a pour sa part rappelé que l’intervention française avait eu lieu «sans preuves» de la responsabilité de Bachar el-Assad dans l’attaque présumée de Douma du 7 avril. Le chef de file des Insoumis s’est par ailleurs étonné que la destruction, d’après Paris, d’usines présumées de production d’armes chimiques n’ait pas dégagé «une seule petite bouffée d’air impur», en ne faisant aucune victime.
«Nous sommes intervenus militairement dans le pire nid de frelons de la planète», a déploré le député, ajoutant : «Nous avons agi sans mandat de l’ONU, c’est sans doute pour la France le coup le plus important porté à sa diplomatie.»
Poursuivant son intervention, Jean-Luc Mélenchon a interrogé Edouard Philippe au sujet d’une formulation évoquée par Emmanuel Macron pour justifier la participation de la France aux frappes en Syrie. «Que signifie la légitimité de la multilatéralité ?», a questionné l’Insoumis, qui a terminé son intervention en affirmant : «C’est fini le temps où à quelques pays, nous pouvions décider pour tout le monde !»
Le communiste Jean-Paul Lecoq a de son côté dénoncé «des actes de guerre illégaux sans mandat de l’ONU dans une seule volonté de représailles».
Ces orateurs ont également déploré l’absence de vote lors de ce débat.
Le sénateur FN Stéphane Ravier a vu dans l’intervention de Paris «une faute majeure», jugeant que le gouvernement syrien était le «seul capable de s’opposer à Daesh».
Marine Le Pen, qui ne s’est pas exprimée devant les élus, a livré un commentaire aux journalistes dans les couloirs de l’Assemblée. Ne mâchant pas ses mots, la présidente du parti frontiste a accusé le président de la République de se prendre «pour le maître du monde».
«Emmanuel Macron oublie que la communauté internationale, ce sont des centaines de pays», a-t-elle déclaré, avant d’ajouter : «Chaque jour qui passe, j’attends d’avoir le début d’un commencement de preuve de ce qui a justifié la mise en œuvre d’une intervention militaire de la part de la France.» «C’est une intervention militaire, ça n’est pas rien. On ne joue pas à la Game Boy», a-t-elle conclu.
Lui aussi interrogé au micro de RT France dans les couloirs de l’Assemblée, le président de Debout La France Nicolas Dupont-Aignan a rappelé qu’aucune preuve de l’utilisation d’armes chimiques par le gouvernement syrien n’avait été présentée par les autorités françaises. «C’est de la propagande !», a-t-il lancé.
Face aux vives critiques des Républicains, des Insoumis ou encore du Front national, la majorité, les UDI-Agir et les socialistes, avec des bémols, ont pour leur part apporté leur soutien à la décision d’Emmanuel Macron.
Chef de file des socialistes, Valérie Rabault a ainsi déclaré : «la France a agi pour le droit international et sans le droit international.»
Le président du groupe LREM Richard Ferrand a de son côté dénoncé les élus critiques de l’intervention française, jugeant qu’ils venaient «délégitimer l’action de nos armées, le travail de nos services de renseignement mais également des ONG qui, sur place, ont relayé l’atrocité de l’attaque perpétrée par le régime syrien».
Le Premier ministre Edouard Philippe a pour sa part été le premier à prendre la parole dans l’hémicycle. Lors de son allocution, il a repris l’argumentation d’Emmanuel Macron, accusant Damas de l’attaque chimique présumée de Douma et affirmant que celle-ci était «avérée», sans toutefois apporter de preuve au public.
«Notre riposte était amplement justifiée dans ses causes. Dans ses modalités elle a été soigneusement proportionnée», a lancé le Premier ministre.
«Aucune solution politique ne sera trouvée tant que l’utilisation de l’arme chimique restera impunie», a-t-il poursuivi, tout en démentant que la France rentre «dans une logique d’escalade». Alors que Paris a agi sans mandat de l’ONU et donc en violation du droit international, le gouvernement reste selon lui attaché «au multilatéralisme». Il a également récusé tout «suivisme» des Etats-Unis.