Le premier anniversaire de l’élection d’Emmanuel Macron approche et la question qui s’est posée dès sa campagne électorale et dès ses premiers jours au pouvoir reste plus que jamais d’actualité.
Lors qu’il fait un usage intense de toutes les techniques possibles de communication, alors que toutes ses apparitions sont toujours parfaitement mises en scène, alors qu’il affectionne au plus haut point les tapis rouges et les uniformes chamarrés, on ne peut s’empêcher de se demander s’il est le Président de la République ou bien s’il « joue » au Président de la République.
Bien sûr, il convient de tenir compte du contentieux entre les deux hommes pour apprécier la portée de cette remarque à sa juste valeur, sans compter que l’échec crépusculaire de François Hollande dans la fonction présidentielle n’a pas manqué de faire remonter quelques aigreurs à la surface.
Mais j’ai moi-même trop souvent constaté combien Emmanuel Macron saisissait toutes les occasions de se mettre en scène dans les attributs visibles du pouvoir, comme pour bien établir aux yeux de tous : « Je suis le Président », pour ne pas y voir de la part de Hollande une forme de lucidité sur son poulain devenu rival.
De sa soirée d’élection le 7 mai 2018 à la photo qui illustre son tweet du vendredi 13 avril dernier annonçant les frappes en Syrie (voir photo de couverture), en passant par son discours devant le Parlement réuni en Congrès à Versailles le 3 juillet 2017 et ses multiples apparitions médiatiques « originales », Emmanuel Macron peaufine le décor, endosse le costume, monte sur scène et joue le rôle – un rôle systématiquement « inédit », qu’il est le premier à jouer, et qui se trouve être toujours le beau rôle.
Concernant les passages médias, il a un chic particulier pour se confronter à des journalistes qui vont lui servir de faire-valoir faciles, qu’ils soient ahurissants de complaisance servile comme Laurent Delahousse avant Noël, ou ahurissants de hargne stupide et d’ignorance crasse comme Jean-Jacques Bourdin (BFM) et Edwy Plenel (Mediapart) dimanche soir dernier. (Est-ce vraiment un hasard si Macron semble assis entre deux burnes devant une tour Eiffel incontestablement très phallique et brillant de mille feux ?).
IL FAUT DONNER SA CHANCE À MACRON
Après le profond désenchantement qui a marqué la France tout au long du quinquennat de Hollande, l’élection de Macron n’a pas fait l’unanimité, loin de là, mais elle a cependant apporté un espoir de renouveau, un espoir que le pays allait abandonner peu à peu ses rigidités et ses tabous, un espoir qu’il allait enfin se mettre au diapason du vaste monde plutôt qu’au service de ses syndicats et ses politiciens les plus archaïques.
Dans ce contexte où une sorte de consensus s’était formé sur le thème Il faut donner sa chance à Macron, j’étais d’avis de regarder point par point ce qui se ferait, de prendre ce qui irait dans le sens de plus de liberté et de dire pourquoi le reste ne saurait me convenir. Il est très vite apparu que Macron, admirateur de Rocard, conseiller de Hollande pour l’aider à parvenir au pouvoir, puis ministre de l’Économie de ce même Hollande, n’avait pas grand chose de libéral, si ce n’est ce que les socio-démocrates aiment beaucoup dans le libéralisme, à savoir des entreprises encore assez vivantes – mais bien encadrées – pour générer du résultat imposable.
Mais s’il est parfaitement normal d’avoir des divergences politiques et économiques avec le pouvoir en place, il est beaucoup plus dérangeant de constater de plus en plus souvent que le Président, outre le fait qu’il continue à mener une politique social-démocrate baignée de stratégie et de providence d’État tout en dépenses, dettes et impôts, semble absolument incapable de prendre la mesure de la réalité et préfère se raconter – et nous raconter – des histoires qui flattent son ego présidentiel mais ne correspondent pas franchement au terrain, surtout lorsqu’on parle relations internationales et intervention des forces armées.
LE FANTASME JUPITÉRIEN
Ce n’est pas véritablement nouveau – on sait tout ce que Macron prétend avoir obtenu de l’Union européenne, notamment sur les travailleurs détachés, alors que la réalité est très en deçà de ses déclarations victorieuses – mais la tendance au fantasme jupitérien semble s’accélérer dangereusement. Ce sont de petites choses, qui ont surgi avec les frappes aériennes de la France en Syrie, mais elles jettent une lumière blafarde, et pour tout dire angoissante, sur la gouvernance Macron.
Interrogé par Bourdin et Plenel sur la participation de la France, la veille, à une opération punitive conjointe avec les États-Unis et le Royaume-Uni contre le régime de Bachar El Assad, soupçonné d’avoir utilisé une semaine plus tôt des armes chimiques contre des civils, il affirme que c’est lui qui a convaincu les États-Unis de rester en Syrie alors que ces derniers avaient annoncé peu de temps auparavant qu’ils avaient vocation à s’en retirer.
À entendre Emmanuel Macron, qui se présente pour ainsi dire comme l’inspirateur de la politique étrangère des États-Unis, on pressent qu’il tire beaucoup la couverture à lui. La réalité n’a pas tardé à le rattraper. Dès le lendemain, la Maison-Blanche a infirmé ses déclarations en indiquant par communiqué que les forces armées américaines se retireraient bien de Syrie comme prévu.
De la même façon, Emmanuel Macron s’est félicité d’avoir séparé la Turquie de la Russie. Et de fait, Erdogan a approuvé les frappes aériennes, contrairement à la Russie qui reste un soutien indéfectible du régime de Bachar El Assad (l’accès à la Méditerranée via le port syrien de Tartous n’étant pas pour rien dans ce soutien). Mais c’était aller un peu vite en besogne, et là aussi, la contradiction est tombée rapidement. Erdogan faisait savoir hier que son pays continuerait de travailler avec la Russie.
Une position qui n’étonne guère car si la Turquie est moins catégorique que son allié russe sur le maintien de Bachar El Assad au pouvoir, l’affaire de l’avion militaire russe abattu par l’armée turque en novembre 2015 est oubliée, la Russie a levé ses représailles économiques contre Ankara et le partenariat économique entre les deux pays est reparti de plus belle.
MACRON CHEF DES ARMÉES
Dernier point, certainement le plus grave, Emmanuel Macron semble très pressé d’endosser le rôle de chef des armées qui est inclus dans son mandat présidentiel.
La photo qui accompagne le tweet dans lequel il annonce l’intervention des forces françaises le montre dans une sorte de salle de crise, entouré de militaires gradés et de conseillers comme dans les meilleures séries politiques britanniques ou américaines. Encore plus fort, la photo choisie n’est pas droite, elle tangue, comme si elle avait été prise dans la bousculade d’un danger imminent qui menace le pays :
Cette petite mise ne scène ne serait pas trop grave s’il n’y avait rien à reprocher aux frappes elles-mêmes. Or c’est très loin d’être le cas. Pour Macron, elles sont devenues impératives compte-tenu de la ligne rouge qu’il avait tracée avec Vladimir Poutine en juillet dernier à propos de l’utilisation des armes chimiques, et elles constituent une réponse de la communauté internationale à l’égard de tous ceux qui violent les traités sur le sujet.
Malheureusement, en fait de communauté internationale, l’opération a été menée par trois États agissant seuls, sans avoir attendu les résultats de l’enquête de l’OIAC (Organisation pour l’interdiction des armes chimiques), sans avoir produit les preuves effectives de l’utilisation d’armes chimiques par le régime de Bachar El Assad et sans l’aval de l’ONU, ce qui constitue une infraction au regard du droit international.
L’argument consiste à dire qu’il y avait une urgence morale à agir, car la Russie siégeant au Conseil de sécurité de l’ONU, elle pouvait opposer son veto. Mais peut-on réprimer la non-application des traités en se mettant soi-même hors du droit international ? S’il est maintenant question de privilégier la voie diplomatique, qu’en est-il de la crédibilité de la France, qu’en est-il de sa cohérence dans ce dossier, alors que tout montre que Bachar El Assad regagne du terrain en Syrie contre les forces rebelles ?
D’autre part, ces frappes ne sont pas les premières du genre. Il y a un an exactement, les États-Unis avaient déjà répondu à une attaque chimique attribuée au régime syrien en ciblant une base aérienne. L’opération, qui avait fait six morts parmi le personnel de la base, n’a visiblement pas eu le résultat impressionnant escompté puisqu’il a fallu recommencer ce week-end, sans aucune certitude d’avoir abouti à quoi que ce soit. Sans aucune certitude, donc, de ne pas avoir à recommencer encore et encore si les mêmes critères d’intervention se présentent à nouveau.
Et au risque de paraître bien indifférents si d’autres massacres, non chimiques mais non moins létaux, survenaient. Car enfin, si l’exigence d’agir était morale face au massacre de civils qui dure en Syrie depuis 2011 et qui a déjà fait plus de 350 000 morts de parts et d’autres (avec s, il y a tellement de parts, et c’est bien là l’un des problèmes), pourquoi une ligne rouge sur les armes chimiques et pas sur toutes les autres armes ?
Emmanuel Macron n’est certes pas le premier à succomber à l’ivresse du commandement militaire. Sarkozy et Hollande avant lui n’avaient pas hésité à engager la France dans des opérations (en Libye, au Mali et au Moyen-Orient) dont on peut seulement dire qu’hormis le recul de l’État islamique en Irak et en Syrie, elles n’ont guère apporté plus de paix sur cette Terre.
Pour la France, il y avait tellement d’arguments contre les frappes aériennes en Syrie, y compris celui de voir compromise pour longtemps toute solution diplomatique de retour à la paix, qu’on ne peut s’empêcher de penser que le jeu de rôle présidentiel par lequel Macron vient de s’octroyer les frissons de chef des armées va un pont trop loin.